par Morgan Lotz
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Joseph Naus, qui allait défavorablement laisser son nom dans l’Histoire iranienne, naquit le 30 mars 1849 à Geldern, en Prusse rhénane, de l’union de deux belges néerlandophones et catholiques, Julia van Daell et Henri Naus, receveur des contributions. Il rentre en août 1869 dans l’Administration des droits et accises dans la région belge de Limbourg avant d’être nommé à Anvers en 1873 vérificateur des douanes de 4ème classe, puis sous-directeur de l’Administration centrale à Bruxelles en 1890, où il sera honoré du titre de Chevalier de l’Ordre de Léopold « en récompense du zèle, de l’intelligence et du dévouement dont il a fait preuve à l’occasion de la recherche des fraudes d’alcool effectuée par le bureau de Welkenraedt et de l’instruction de cette affaire »[1].
Dans le cadre de sa politique de développement de ses relations avec les pays d’Afrique et d’Asie, la Belgique noue des relations diplomatiques avec l’Iran dès la fin du 19ème siècle, chargeant ses diplomates de pénétrer commercialement et industriellement le pays. Cela devient possible lorsque, avec le soutien de la Russie et de la Grande-Bretagne, pour qui la nomination de fonctionnaires belges plutôt que ceux d’autres pays menant une politique d’expansion était préférable, le gouvernement iranien demande à leur homologue belge l’envoi d’un nombre important de ses fonctionnaires ayant pour mission d’organiser ou d’améliorer différents services administratifs, et en particulier les douanes dont les reçus garantissent les prêts accordés par la Banque d’Etat russe et la Banque impériale de Perse sous contrôle britannique. Les trois premiers fonctionnaires belges arrivent le 15 mars 1898, avec à leur tête Joseph Naus, chargés de réorganiser les douanes selon les critères européens et de former les fonctionnaires iraniens en Azerbaïdjân, où la bonne tenue de l’administration fiscale était bien souvent compromise par la corruption et l’immixtion de la notabilité locale, quand les revenus n’étaient pas tout simplement reversés aux Russes.
Obtenant d’excellents résultats, avec une augmentation de 35% des revenus douaniers en 1898, Joseph Naus parvient à acquérir une notoriété et une influence qui l’amène à être nommé ministre des finances de la Perse. Devant des résultats satisfaisants, le grand vizir accepte à la fin de l’année 1899 l’élaboration d’un nouveau plan de formation avec des fonctionnaires belges dans les domaines de la trésorerie, des cadastre, des services postaux, des contrôle des passeports, de l’émission des monnaies, des services d’assainissement après les épidémies de choléra survenues en 1904, 1905 et 1908, ainsi que des services d’approvisionnement au début de la Première Guerre mondiale. A ce titre, 63 fonctionnaires belges résident en Iran en 1913, pour la plupart accompagnés par leurs familles
Joseph Naus dirigera également les services postaux de 1902 jusqu’à sa succession par Camille Molitor[2] en février 1904. La situation s’envenime lorsqu’il prie les gouverneurs provinciaux de reverser les contributions de leurs provinces dans la trésorerie nationale, satisfaisant de la sorte les pressions des Britanniques et des Russes pour qui cela garantissait le remboursement des prêts accordés. La fronde des gouverneurs est cependant rapidement enrayée mais les ressentiments à son encontre deviennent de plus en plus importants et s’exacerbent devant le comportement irrespectueux qu’il manifeste en s’opposant aux coutumes et à la religion des Iraniens, se faisant notamment photographier en mollâ[3] au cours d’une soirée mondaine qu’il animait de la sorte… Il sera contraint de démissionner le 13 mai 1907, remplacé par Joseph Mornard[4]. Joseph Naus prendra sa retraite le 10 juillet 1908 et proposera ses services de conseils en affaires iraniennes auprès du gouvernement russe et accompagnera les entreprises de son fils en Egypte jusqu’à son décès à Bruxelles le 16 juillet 1920.
Cependant, devant la multiplication des missions confiées par le gouvernement iranien, les fonctionnaires belges se heurtent aux intérêts de la classe dirigeante et des grands propriétaires terriens, favorables à la situation antérieure qui favorisait les enrichissements personnels, ainsi qu’à la méfiance et aux calomnies des Britanniques. L’encombrant soutien des Russes face aux critiques dont ils sont l’objet en dépit du soutien gouvernemental devient accablant en 1907 ; il se muera en une hostilité à leur encontre après le déclenchement de la Première Guerre mondiale et les multiples tentatives d’entrave rendant leur travail impossible pousseront Mornard et d’autres fonctionnaires belges à démissionner et quitter le pays en 1915. En effet, les Russes et les Britanniques font pression sur le gouvernement iranien pour écarter leur concurrent européen, à tel point que les Anglais parviennent à développer leur réseau postal dans le sud du pays qu’ils avaient inauguré quarante ans plus tôt et à récupérer les bureaux de poste des villes de Ahvâz, Mohammareh et Hendjân durant la Première Guerre mondiale.
[1] Archives Générales du Royaume, Douanes et accises, 6B 62.292-294, Boîte 511, Joseph Naus.
[2] Camille Molitor (né à Erezée le 6 juin 1877 et décédé à Bruxelles le 7 janvier 1939) fut directeur général des douanes iraniennes avant de développer les services postaux. Il s’opposera à l’expansion des services postaux britanniques dans le sud de l’Iran et obtiendra en août 1920 leur condamnation lors du congrès de l’Union postale universelle qui fut tenu à Madrid. De retour en Iran, il est licencié sur ordre du Premier ministre Zia’aldin Tabâtabâï (1889 – 1969) et ciblé par une campagne de presse britannique visant à dénigrer la mission belge. Ce n’est guère un exemple isolé puisque les Britanniques tenteront par tous les moyens de discréditer les missions et légations de leurs concurrents occidentaux afin de s’arroger le monopole en encourageant le désordre qu’ils résolvent une fois les concessions leur étant attribuées par le gouvernement iranien. Camille Molitor se voit contraint de rentrer en Belgique en 1922, non sans avoir dû essuyer l’affront de répondre de son action devant une commission.
[3] Le mot mollâ ne désigne pas explicitement un religieux shî’ite mais plutôt une personne instruite dans les sciences religieuses. Plus anciennement, ce mot était usité comme un titre porté par une personne instruite, qu’elle soit musulmane ou non (Dictionnaire persan-français, Gilbert Lazard, avec l’assistance de Mehdi Qavâm-Nejâd, Rahnamâ, Téhéran, 1389–2011, p. 412). La lettre h en fin de mot n’existe pas en persan ; son rajout en langue française provient peut-être de l’influence de l’orthographe des mots Allâh et ayatollâh. À noter que le mot mollâ est très peu usité en Iran, principalement utilisé dans les traductions ou dans les surnoms de certaines célébrités iraniennes, le mot désignant les religieux étant âkhound. Son équivalent sunnite est ouléma.
[4] Jacques Joseph Mornard (né à Bossut-Gottechain le 18 décembre 1864 et décédé à Téhéran le 29 octobre 1916) fut administrateur des douanes iraniennes avant de devenir Trésorier général de Perse.