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Géopolitique et Diplomatie

Le martyre d’Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah

Le vendredi 27 septembre 2024 fut menée par l’armée de l’air israélienne une frappe aérienne ciblant le quartier général du mouvement chiite à Beyrouth. Le secrétaire général du Hezbollah, Seyed Hassan Nasrallah, cible principale des Israéliens, trouve la mort. À ses côtés tombe également en martyre le général de brigade de première classe pâsdâr Abâs Nilforoushân. Ainsi qu’Ibrahim Hossein Djazini, responsable de la protection rapproché de Monsieur Nasrallah, Samir Tawfiq, conseiller, Abd al-Amir et Ali Nawaf Ayoub, respectivement responsables de la mobilisation militaire et des forces balistiques.

Comprendre le Hezbollah et le rôle d’Hassan Nasrallah

Dans un entretien accordé au Cercle Aristote intitulé Hezbollah décapité quelles conséquences ?, Morgan Lotz répond aux questions de Pierre-Yves Rougeyron.

Cet échange fut enregistré le lundi 30 septembre 2024 et publié le mercredi 2 octobre suivant. Soit quelques heures avant l’invasion terrestre du Liban par l’armée israélienne et la veille des frappes de missiles iraniens en réponse légitime, conforme à l’article 51 de la charte des Nations unies.

Morgan Lotz Hezbollah Seyed Hassan Nasrallah

Morgan Lotz est l’auteur d’une étude sur le Hezbollah dans son livre Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique. Il revient notamment sur l’histoire du Hezbollah et sa fondation en 1985, regroupant plusieurs factions résistantes après la scission du mouvement Amal (أمل, signifiant « espoir »), fondé en 1974. Il présente également, sources à l’appui, son rôle et son évolution dans la société libanaise et sur la scène géopolitique.

Précisions sur l’attaque du Drakkar

La désinformation concernant l’implication du Hezbollah dans l’attaque du Drakkar le 23 octobre 1983 demeure tenace en Occident. Il convient d’apporter quelques précisions.

La guerre civile libanaise

Le Liban est en proie à une guerre civile qui débuta le 13 avril 19751 avec le massacre du bus de Beyrouth par les Phalangistes libanais. Cette milice chrétienne fut fondée par Pierre Gemayel en 1936 sous le nom de « Parti al-Katâ’eb – Parti social-démocrate libanais » (حزب الكتائب اللبنانيّة – الحزب الديمقراطي الاجتماعي اللبناني).

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne déclenche l’opération Paix en Galilée et envahit le Liban jusqu’à la capitale Beyrouth. Nombre de Libanais entrent alors en résistance contre l’envahisseur israélien.

La présence militaire étrangère au Liban

En septembre 1982, la France et les États-Unis constituent une force de « maintien de la paix » sous le nom de « Force multinationale de sécurité à Beyrouth ». Elle se compose de 2000 soldats français, 1600 soldats et 2 porte-avions étasuniens, 1400 soldats italiens et 100 soldats britanniques. Cependant, celle-ci ne dispose aucunement du soutien de l’ONU.

Côté français, le 1er régiment de chasseurs parachutistes installe un de ses cantonnements dans l’immeuble Drakkar situé dans le quartier de Ramlet el-Baidda.

L’attaque du Drakkar

Le dimanche 23 octobre, le bâtiment explose, tuant 305 personnes. Parmi les victimes figurent 241 militaires étasuniens, 58 militaires français et 6 civils libanais. L’enquête concernant cette explosion ne sera jamais véritablement menée :

« Selon la thèse officielle française, retranscrite dans les archives de l’armée française, un camion suicide bourré d’explosifs, tout comme celui qui avait pulvérisé quelques minutes auparavant le quartier général des Marines américains, pénètre dans le sous-sol du PC français, « malgré les tirs d’une ou plusieurs sentinelles », avant d’exploser.

Cette thèse est toutefois très contestée par les survivants de l’attaque. Nombreux sont ceux qui assurent n’avoir vu aucun véhicule pénétrer le bastion des paras français, doté d’une seule entrée, et entouré d’un mur et de levées de terre, pas plus qu’ils n’ont entendu des tirs avant l’explosion.

[…]

Un an après les faits, une polémique avait déjà éclaté sur les circonstances de l’attentat. Fin octobre 1984, dans un article paru dans le Figaro-Magazine, le père de l’une des victimes affirmait qu’il se pourrait que le Drakkar ait été au préalable lourdement miné par les services secrets syriens [qui étaient positionnés dans l’immeuble avant l’arrivée de l’armée française, NDLR], et que l’explosion ait été commandée à distance. Pour la Syrie, qui occupait alors le Liban depuis 1976, la Force multinationale d’interposition était un obstacle, qui l’empêchait de faire main basse sur le pays du Cèdre.

 En 1989, rebelote. Comme en 1984, des députés annoncent leur intention de demander la constitution d’une commission d’enquête parlementaire spéciale sur l’attentat du Drakkar. En se fondant cette fois sur des éléments recueillis par l’hebdomadaire « Paris-Match » et un reportage de « La Cinq ». Selon les témoignages de survivants interrogés par les deux médias, l’hypothèse d’un immeuble miné par les Syriens avait également été évoquée. L’attentat aurait, dans ces conditions, été perpétré en représailles à une tentative conjointe des Américains et des Français d’assassiner l’un des chefs de la communauté chiite au Liban, Mohammad Hussein Fadlallah. »

Attentat du Drakkar : 30 ans après le drame, des larmes et des doutes, France 24, 23 octobre 2013 (https://www.france24.com/fr/20131023-attentat-drakkar-30-ans-1983-attentat-liban-beyrouth-drame-these-officielle-paras-parachutistes).

Cette commission d’enquête ne verra jamais le jour. La thèse officielle française trouve sa source dans un rapport classé « confidentiel défense » :

« Le temps n’a pas non plus levé les doutes sur les causes de l’explosion. La thèse officielle est décrite dans un rapport confidentiel défense. Une camionnette bourrée d’explosifs venait de percuter le siège des marines, près de l’aéroport, tuant 241 soldats américains. « Quelques instants plus tard, malgré les tirs d’une ou plusieurs sentinelles, une autre camionnette se jette contre l’immeuble Drakkar occupé par la compagnie du premier RCP dans Beyrouth-Ouest, à proximité du quartier chiite. La commission d’enquête libanaise conclura à deux attentats exécutés de façon similaire et par ailleurs les enquêtes menées par les autorités françaises aboutissent aux mêmes conclusions. »

DES TÉMOINS DIRECTS JAMAIS ENTENDUS

Ce compte rendu lapidaire, le seul qui figure dans les archives officielles de l’armée, est mis en doute par les survivants interrogés par Le Monde. Robert Guillemette, qui était de garde sur le toit du Drakkar, assure n’avoir jamais entendu de tirs. Lucien Jacquart et Dominique Grattepanche non plus. « Je n’ai pas vu de camion »,assurent Daniel Tamagni et Eric Mohamed, qui étaient sur le balcon face à l’entrée par où serait arrivé le véhicule piégé.

Omer Marie-Magdeleine était adjudant d’unité. Ce rescapé était chargé de la protection du bâtiment. Le matin encore, quelques minutes avant l’explosion, le gradé avait supervisé le dispositif qui se composait notamment de six armes antichars et de deux mitrailleuses lourdes 12.7. « Le bâtiment était entouré d’un mur et protégé par des levées de terre, explique-t-il. La rue était barrée des deux côtés. L’immeuble était protégé par une chicane et des barbelés. Il n’y avait aucune possibilité qu’un camion puisse passer sans être remarqué. »

D’autres militaires français étaient installés dans un immeuble voisin, baptisé Catamaran et situé à moins de 100 mètres. Ces hommes se sont précipités sur le balcon après l’explosion du bâtiment américain. Deux minutes plus tard, Drakkar, qui était dans leur axe de vision, explosait. Aucun n’a vu de camion.

Le plus étonnant dans l’affaire est que ces témoins directs n’ont jamais été entendus au cours de l’enquête. De même, les survivants furent mis à l’isolement par l’armée, avec interdiction de parler à quiconque.

AUCUN CAMION RETROUVÉ DANS LES DÉCOMBRES

Les rescapés avancent encore des arguments techniques. Aucun camion n’a été retrouvé dans les décombres. L’entrée par où se serait engouffré le véhicule du kamikaze est située sur le côté, et l’immeuble n’aurait pas dû s’affaisser sur lui-même comme il l’a fait. Enfin, une flamme, visible sur certains clichés, est sortie du dessous de l’immeuble qui s’est soulevé avant de s’effondrer.

Les sentinelles qui étaient de garde à Drakkar ont été tuées. Une seule a survécu mais est restée amnésique. […]

Succincte, la thèse officielle comporte en outre des variantes. Selon un document de l’Office national des anciens combattants (ONAC), le camion est « soulevé dans les airs, il retombe à 7 mètres de distance. Les sentinelles n’ont pas eu le temps de réagir ». Pas de tir cette fois, et un camion projeté en l’air, mais que personne n’a retrouvé. »

Benoît Hopquin, Attentats du Drakkar – Beyrouth 1983 : qui a tué les paras français de Beyrouth en 1983 ?, Le Monde 23 octobre 2013 (https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/23/qui-a-tue-les-paras-francais-de-beyrouth-en-1983_3501317_3224.html).

Le Hezbollah ne peut être impliqué puisque celui-ci fut fondé le 16 février 1985. Il n’est toutefois pas impossible que des personnes impliquées dans la résistance contre les différentes armées d’occupation aient par la suite rejoint le Hezbollah.

Pour la France et les États-Unis, leur présence relevait du maintien de la paix. Cette présence militaire étrangère fait suite à la demande formulée par le président Bachir Gemayel. Ce dirigeant adoptait une politique collaborationniste avec l’envahisseur israélien. En conséquence de quoi nombre de Libanais considèrent ces attaques comme justifiées et relevant de la résistance.

Précisions sur la résolution 1701

Le Hezbollah devint au fil du temps la principale force de défense du Liban. En effet, la guerre des 33 jours de 2006 prit fin avec la résolution 1701 de l’ONU. Celle-ci fut rédigée par Victoria Nuland, alors représentante permanente des États-Unis auprès de l’OTAN. Toutefois, le président français Jacques Chirac imposa son amendement pour permettre à l’armée libanaise, alors défaillante, de se faire remplacer par le Hezbollah à la frontière.

  1. Celle-ci s’achèvera le 13 octobre 1990 avec la signature de l’accord de Taëf. ↩︎

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