Au cours de l’émission Entretien avec diffusée le 5 janvier 1972, Henry Corbin revient avec Bernard Latour sur la définition du soufisme et les notions d’ésotérisme et d’exotérisme.
Henry Corbin (1903-1978) est mondialement reconnu comme l’un des plus éminents penseurs occidentaux du XXème siècle. Parmi les érudits les plus respectés et admirés, il fut à la fois philosophe, traducteur, orientaliste et historien, spécialisé sur le Chiisme et plus largement sur la spiritualité des mondes islamiques et iraniens. Ses nombreux travaux comptent notamment des traductions inédites des penseurs iraniens parmi les plus importants.
En 2006, les éditions Frémeaux & Associés publièrent un coffret de trois cédéroms intitulé La philosophie islamique. Celui-ci présente quinze enregistrements sonores d’Henry Corbin, soigneusement sélectionnés et présentés par Christine Goémé.
Définitions
Dans l’Antiquité grecque, le terme ésotérique fut utilisé pour décrire une doctrine philosophique enseignée à l’intérieur d’une école et qui, contrairement à l’enseignement public, était destinée uniquement aux disciples. On parle de l’enseignement ésotérique des pythagoriciens, de la doctrine ésotérique de Platon et des livres ésotériques d’Aristote. Par extension, ésotérique s’utilisait pour désigner ce qui est réservé aux initiés et qui doit rester secret. Par exemple, les mystères d’Éleusis et les traités des alchimistes étaient de nature ésotérique.
Au XIXème siècle, l’ésotérisme prend le sens d’une doctrine affirmant que certaines connaissances ne doivent aucunement s’exposer publiquement, mais plutôt demeurer réservées à des adeptes sélectionnés. Par extension, l’ésotérisme qualifie un savoir, un enseignement, un art, une œuvre littéraire ou artistique dont la compréhension s’avère ardue et demeurant à la disposition de ses initiés.
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Le XVIème siècle emprunte au latin exotericus, lui-même dérivé du grec exôterikos, signifiant « extérieur » ou « public », pour forger le mot « exotérique ». Il désignait la doctrine que les philosophes de l’Antiquité enseignaient en public, en opposition à leur doctrine secrète. Par exemple, on parle de la doctrine exotérique d’Épicure. Par extension, l’exotérisme se réfère à ce qui n’est pas exclusivement réservé aux initiés et qui peut se divulguer plus largement. Ce terme s’utilise aussi pour décrire le sens extérieur ou accessible d’un texte sacré.
Ésotérisme et exotérisme en Islam
Dans le vocabulaire islamique, exotérique se dit ظاهر (zâhir) et ésotérique باطِن (bâtin). Le verset 3 de la sourate 57 (ٱلْحَدِيدِ, « Le Fer ») indique d’ailleurs à propos de Dieu (الله, Allâh) :
هُوَ الْأَوَّلُ وَالْآخِرُ وَالظَّاهِرُ وَالْبَاطِنُ ۖ وَهُوَ بِكُلِّ شَيْءٍ عَلِيمٌ
Texte original en langue arabe (Al-Hadid [57:3] – Tanzil Quran Navigator)
« C’est Lui le premier et aussi le dernier, l’extérieur et aussi l’intérieur, tandis qu’Il se connaît bien à toute chose. »
Le Coran, traduction de Muhammad Hamidullâh, Le Club français du Livre, 1971, p. 531.
« C’est Lui le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché et Il est Omniscient. »
Le Saint Coran, bilingue français-arabe, Éditions Ibn Hazm, Beyrouth, p. 537.
Certains soufis et chiites adoptent une interprétation ésotérique du Coran. Celle-ci considère la lecture littérale comme dissimulatrice de plusieurs autres significations cachées. Cette approche du Coran a conduit la désignation de ses adeptes sous le nom de bâtiniens (en arabe : باطِنِيّ, bāṭinī). Selon cette perspective, le Coran et d’autres textes saints peuvent se comprendre sur quatre niveaux :
- premièrement, le niveau exotérique, littéral, extérieur : la forme (ظاهر, zâhir) ;
- deuxièmement, le niveau analogique, rituel, comparatif : la parole (موعظة, mâweiza) ;
- troisièmement, le niveau symbolique, moral, pensif : l’idée (فكرة, fikra) ;
- quatrième et dernièrement, le niveau ésotérique, spirituel, métaphysique, intérieur : le fond (باطن, bāṭin).