Catégories
Religion et Spiritualité

Henry Corbin et le monde « imaginal »

Dans l’émission Les chemins de la connaissance diffusée le 4 mai 1979 sous le titre de L’atlas des mondes imaginaires, Henry Corbin présente à Gilbert Durand la notion d’« imaginal » qu’il développa dans son œuvre.

Henry Corbin (1903-1978) est mondialement reconnu comme l’un des plus éminents penseurs occidentaux du XXème siècle. Parmi les érudits les plus respectés et admirés, il fut à la fois philosophe, traducteur, orientaliste et historien, spécialisé sur le Chiisme et plus largement sur la spiritualité des mondes islamiques et iraniens. Ses nombreux travaux comptent notamment des traductions inédites des penseurs iraniens parmi les plus importants.

Henry Corbin – La philosophie islamique : Le monde imaginal

En 2006, les éditions Frémeaux & Associés publièrent un coffret de trois cédéroms intitulé La philosophie islamique. Celui-ci présente quinze enregistrements sonores d’Henry Corbin, soigneusement sélectionnés et présentés par Christine Goémé.

La notion du monde imaginal d’Henry Corbin

Le mot « imaginal » fut conçu par Henry Corbin dans ses travaux traitant de l’herméneutique comparative. Confrontée à la méfiance exprimée par la philosophie occidentale moderne à l’égard de l’imagination, le terme « imaginal » introduit au contraire une exaltation philosophique de l’image. Cette exaltation permet d’accéder à la connaissance symbolique de la réalité des archétypes.

La vision suprasensible

La psychologie islamique (ou, mieux encore formulé, la psychosophie) considère l’imagination créatrice comme la faculté centrale de l’âme. En effet, selon les mots d’Henry Corbin dans son livre Corps spirituel et Terre céleste, l’imagination possède « sa fonction noétique et cognitive propre, c’est-à-dire qu’elle nous donne accès à une région et réalité de l’être qui sans elle nous reste fermée et interdite ». Cette puissance de l’âme ouvre l’être à un monde suprasensible : un monde intermédiaire entre le sensible et l’intelligible. La théosophie orientale l’appelle malakūt, correspondant au « monde de l’âme » de certains auteurs.

La tradition platonicienne en Islam distingue trois réalités : d’abord le monde intelligible (‘ālam ‘aqlī), ensuite le monde imaginal (‘ālam mithālī) et enfin le monde sensible (‘ālam hissī). Cette distinction repose sur la reconnaissance de formes propres à chacune des réalités. Celles-ci sont hiérarchisées selon trois niveaux de l’être et de la connaissance : formes intelligibles, formes imaginales, formes sensibles.

Cette vidéo fut censurée deux fois par YouTube.

L’ontologie spécifique des formes imaginales se définit par l’apparaître en tant qu’apparaître (la « réalité apparitionnelle »), se situant entre l’apparence des formes sensibles et le transparaître des formes intelligibles.

L’Imaginal, lieu de la rencontre de l’âme

Ainsi, l’imagination créatrice s’avère totalement incompatible et étrangère avec ce que l’on entend par « imaginaire ». En effet, ce terme évoque la fabulation, l’irréalité, la fiction, voire le délire. Henry Corbin précise :

« Il nous fallait absolument trouver un terme qui différenciât radicalement de l’imaginaire l’intermonde de l’imagination. […] La langue latine est venue à notre secours, et l’expression mundus imaginalis est l’équivalent littéral de l’arabe ‘alām al-mithālal-‘alām al-mithālī, en français le « monde imaginal ». »

Ce terme ne fait pas référence à un monde d’images considéré comme une réalité dégradée, affaiblie, issue des données sensorielles. Encore moins à une réalité purement inventée. Il fait plutôt référence à une authentique source de connaissance. L’âme rencontre cette réalité imaginale à travers une perception imaginale, une connaissance imaginale, une conscience imaginale. En tant que « faculté cognitive à part entière », l’imagination dématérialise les formes sensibles en les ramenant à leur source d’apparition. Elle « imaginalise » les formes intelligibles ou les archétypes en leur donnant une forme, une dimension, un rythme et un visage.

En somme, l’imaginal assure une transition réversible entre le sensible et l’intelligible, les réunissant et les intégrant dans une unité créatrice. Sans ces formes imaginales, ni les formes intelligibles ni même les formes sensibles ne pourraient être connues.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.Les champs obligatoires sont indiqués avec *