par Morgan Lotz
Tous droits réservés
Bien que les très importantes concessions accordées au baron de Reuter par Nâsseraddine Shâh en 1872 soient annulées l’année suivante au motif de la non-initiation par le baron du projet ferroviaire sous les 15 mois prévus, ces derniers s’accordent tout de même en 1885 sur l’octroi d’une nouvelle concession à l’homme d’affaire britannique, cette fois-ci dans le domaine bancaire. Reuter souhaitait plus que tout obtenir sa concession dans le but de construire le réseau de chemin de fer iranien ; de plus, cette première concession lui accordait également le monopole des services bancaires pour une durée de soixante années. D’abord dissimulée au gouvernement britannique jusqu’au dernier instant, elle alarme les gouvernements britanniques et russe lorsqu’elle est connue. Pour les Iraniens, elle représente l’appropriation de leurs ressources par un étranger et la trahison du shâh, tandis que les Russes ressentent la rivalité britannique contre leurs intérêts en Iran.
La Banque impériale de Perse, en persan Bânk-é Shâhanshâhi-yé Irân, voit le jour en 1889 lorsque Reuter, ayant ardemment poursuivit ses efforts pour s’approprier les ressources iraniennes, obtient les droits bancaires et miniers en exclusivité pour soixante années sur la base de la concession de 1872. Cette seconde concession, certes moins avantageuse que la première, fut fermement soutenue par le ministre britannique Henry Drummond Wolff[1]. L’Imperial Bank of Persiaest la première banque moderne d’Iran, introduisant les idées bancaires européennes inconnues auparavant. L’Islam interdisant la pratique de l’usure, les prêts d’argent se réalisaient auprès des prêteurs juifs, semblablement à ce qui fut pratiqué dans le monde chrétien pendant de nombreux siècles. L’argent iranien circule à cette époque sous la forme de pièces d’or ou d’argent et les Iraniens hésitent à renoncer aux pièces pour l’utilisation du papier monnaie ; ainsi, les Juifs conserveront leur influence après l’établissement de ce nouveau système bancaire.
Détenant le quasi-monopole des opérations bancaires dans le pays, cette banque fonctionne comme banque d’Etat et banque d’émission jusqu’en 1928, disposant du droit exclusif d’émission des billets et d’un statut fiscal d’exonération pendant soixante ans. Bien que ses activités aient principalement lieu à Téhéran et dans d’autres pays de la région, son centre juridique est basé à Londres et la banque est soumise au droit britannique. Principalement financée par Glyn, Mills & Co.[2], J. Henry Schröder & Co.[3] et David Sassoon & Co.[4],elle est d’ailleurs très rapidement introduite en bourse à Londres.
Contrairement à la Banque impériale ottomane, dont la propriété est partagée entre britanniques, français et turcs, les directeurs des établissements de l’Imperial Bank of Persiasont des Européens. Son premier président, sir William Keswick[5] et son premier propriétaire, Joseph Rabino, un Londonien d’origine juive italienne ayant passé dix-huit ans en Iran, vont très rapidement déterminer la réputation de la banque : l’octroi de prêts au shâh entre 1892 et 1911 garantis par les droits de douanes des ports iraniens vont provoquer une levée de bouclier des nationalistes devant ce qu’ils considèrent comme une captation des ressources économiques iraniennes.La banque est autorisée à dissimuler ses bénéfices à travers des virements en direction de comptes tenus secrets afin de constituer une réserve intérieure. En réalité, entre 1890 et 1952 les bénéfices réels de l’Imperial Bank or Persiasont deux fois plus importants que les chiffres officiellement publiés. De plus, l’établissement bancaire mobilise l’épargne des Iraniens afin de financer des crédits majoritairement accordés aux ressortissants européens et dont l’investissement permet de financer entre autre l’exportation d’opium iranien. C’est par exemple le cas, en 1927, où 80% des prêts accordés à Shirâz, Ispahân et Boushehr servaient à financer le commerce de la belle brune des poètes.
De plus, l’Imperial Bankest connue pour son trafic d’influence et d’intérêt, en témoigne l’exemple de son très stratégique contact à Téhéran, Sir Albert Houtum-Schindler[6], dont la réputation fait de lui le personnage la mieux informée parmi les Européens présents en Iran. Très apprécié par le ministre britannique Wolff, ce dernier demande au ministère anglais des Affaires étrangères de l’embaucher à la légation, sans succès ; c’est finalement Reuter qui l’emploiera avec Rabino. En 1929, la banque détiendra vingt-cinq succursales en Iran, trois en Irak, et une en Inde.
L’Imperial Bankfut très fortement critiquée par les gouvernements nationalistes qui se succédèrent entre 1928 et 1952 : elle est considérée comme un agent de l’impérialisme britannique en raison notamment des intérêts diplomatiques britanniques qu’elle privilégia au détriment des Iraniens durant les deux conflits mondiaux, de même que son utilisation des épargnes iraniennes au profit des Britanniques durant ses années d’activité. La création en 1928 de la Bank Melli (« Banque nationale »), sous contrôle iranien, conduit l’Imperial Bankà renoncer en 1933 à son pouvoir d’émission de la monnaie papier. Ne détenant plus que 9% des dépôts bancaires iraniens en 1939, elle est cependant obligée de vendre la moitié de ses succursales iraniennes, ce déclin avantageant la Bank Melli.
Bien que les activités de la banque dans le commerce extérieur déclinent au cours de cette décennie dans le domaine des accords de troc et des contrôles de changes, elle poursuit tout de même son développement au Koweït, à Dubaï, en Arabie Saoudite et dans le sultanat d’Oman durant les années 1940 et 1950. Par la suite renommée British Bank of the Middle East, elle se retire d’Iran en 1952. Toutes ses activités seront transférées à la banque Tedjarat après révolution de 1979. Devenue HSBC Bank Middle Eastdepuis son acquisition par HSBC, elle est aujourd’hui la plus grande banque internationale opérant au Moyen-Orient. In the late 1940s, the bank opened branches in the , and was the first bank in Kuwait, Dubai and Oman.
[1] Henry Drummond Wolff (1830-1908), issus d’une famille juive, fut notamment ministre de l’Iran. Il poussera par la suite Nâsseraddine Shâh à accorder à son ami le major Talbot la concession du tabac.
[2] Banque privée londonienne fondée en 1753 et incorporé à la Royal Bank of Scotland en 1969.
[3] Société de gestion d’actifs multinationale fondée en 1804 et qui existe toujours aujourd’hui.
[4] Société commerciale fondée à Bombay en 1832 par David Sassoon (1792-1864), ancien trésorier juif de Baghdâd de 1817 à 1829.
[5] Sir William Keswick (1834-1912), fut un homme politique et un homme d’affaire britannique.
[6] Albert Houtum-Schindler (né aux Pays-Bas ou en Allemagne le 24 septembre 1846 et décédé à Fenstanton, en Angleterre le 15 juin 1916) fut recruté en 1868, après une formation en ingénierie suivie à l’université de Leipzig, par le service de télégraphie indo-européen. Il devient en huit années son inspecteur général avant d’être élevé au grade de général à titre honorifique dans l’armée iranienne. C’est en 1889 qu’il est recruté par l’Imperial Bank, fort de son expérience de directeur des mines de turquoise du Khorassan depuis 1882. Egalement nommé par la banque inspecteur général de la Persian Bank Mining Rights Corporation, il est licencié en 1894 suite à un échec imputé à sa gestion. En 1896, il rejoint le Département du contrôle des affaires étrangères où son poste de directeur le conduit à conseiller le gouvernement iranien. Il achève sa carrière en occupant la fonction de consul honoraire de Suède de 1902 à 1911, avant de rentrer en Angleterre où il mourra de la goutte quelques années plus tard. Sir Houtum-Schindler nous laisse un travail érudit concernant l’Iran qu’il parcourut dans un objectif scientifique : ses données accumulées lui permirent la rédaction de nombreux articles de référence, notamment publiés en 1911 dans l’Encyclopædia Britannica.