Le 3 juillet 1988, le bâtiment de la marine étasunienne USS Vincennes abattait le vol civil Iran Air 655 dans le golfe Persique. Les 290 personnes présentes à bord, dont 66 enfants, furent tuées.
Le vol Iran Air 655 du 3 juillet 1988
Alors que l’Iran fait face à huit années de guerre consécutives imposées par l’Irak, les États-Unis ne manquent pas de mener des hostilités contre l’Iran (cf. Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique pour la liste détaillée).
Parti de Téhéran, le vol commercial Irân Air 655 assurait ce dimanche 3 juillet 1988 la liaison avec Dubaï via une escale à Bandar Abbas. Alors qu’il survole le détroit d’Hormuz, la frégate américaine USS Vincennes tire plusieurs missiles sur l’aéronef.
Au total, 290 personnes trouvent la mort. 254 Iraniens (dont 16 membres d’équipage), 13 Émiratis, 10 Hindous, 6 Pakistanais, 6 Yougoslaves et 1 Italien. Parmi les victimes figurent 66 enfants.
La récupération des corps et des débris nécessitera 80 plongeurs, quatre navires et quatre hélicoptères travaillant sans interruption pendant 52 jours. Cette opération s’avéra particulièrement compliquée en raison des températures avoisinant les 50°C. La récupération des corps fut elle aussi une opération fort complexe. En effet, du fait de leur immersion prolongée, les morceaux devenus enflés ne rentraient guère dans les cercueils et les plongeurs furent alors contraints d’utiliser des civières en filet pour les remonter. Seuls 178 corps sur les 290 purent finalement être retrouvés.
Une enquête édifiante démontre la responsabilité des États-Unis
Le rapport d’enquête publié par la marine étasunienne s’avère incomplet. En effet, celui-ci ne présente aucune carte renseignant la position de l’USS Vincennes. De plus, le vol étant civil, celui-ci n’avait aucun accès aux fréquences d’urgences militaires qu’utiliseront sept fois les Américains pour le contacter.
Enfin, ce rapport ne mentionne aucunement le code transpondeur et le couloir aérien emprunté qui aurait permis l’identification de l’appareil. En dépit d’un retard de 27 minutes sur son horaire prévu de décollage, l’Airbus A300B2 iranien figurait sur la liste des vols civils remise à l’US Navy.
En 1990, le lieutenant-colonel Roger Charles parvient à récupérer auprès de l’OIAC (Organisation Internationale de l’Aviation Civile) une copie complète du rapport d’enquête. Il s’avère que le commandant de la frégate a désobéi à un ordre direct de sa hiérarchie en poursuivant des vedettes iraniennes. Il viola ainsi délibérément l’espace aérien iranien en s’enfonçant de presque cinq kilomètres dans les eaux territoriales iraniennes, plaçant ainsi son bâtiment sur la trajectoire de l’avion.
Le déni américain
Bien entendu, les États-Unis nièrent leur responsabilité dans cette attaque volontaire à l’encontre de la population iranienne. Le président Ronald Reagan exprima ses « regrets » lorsque son vice-président George Bush déclare le 2 août 1988 lors d’un discours de campagne :
« Je ne présenterai jamais d’excuses au nom des États-Unis — Que m’importe les faits… Je ne suis pas de ces gens qui présentent des excuses au nom des États-Unis. »
Plus consternant encore, les États-Unis vont même récompenser les meurtriers. Le commandant reçut la Legion of Merit en 1990 pour son commandement de l’USS Vincennes. La « Légion du Mérite » récompense une « conduite exceptionnelle en période de guerre ». L’éloge du commandant ne mentionnera pas la destruction de l’avion civil iranien.
Le coordinateur de guerre aérienne, responsable du tir en affirmant que l’avion piquait sur le croiseur alors qu’il était en montée, reçut la Commendation Medal. La « Médaille de mention élogieuse » est décernée pour « actes d’héroïsme et services méritoires rendus ».
Enfin, l’ensemble de l’équipage recevra pour sa part la Combat Action Ribbon au nom de leur mission en zone de combat. Le « Ruban d’action au combat » récompense les marins de l’US Navypour leur « participation active à un combat en zone hostile en présence du feu ennemi ».
Des documents déclassifiés publiés en juillet 2022 révèlent comment le Royaume-Uni offrit son soutien immédiat aux États-Unis et les aida à dissimuler les faits :
« Washington a prétendu que la marine américaine avait agi en état de légitime défense, mais ce n’était pas vrai. L’avion n’avait pas, comme l’a affirmé le Pentagone, « quitté la route aérienne commerciale prescrite », ni « descendu » vers l’USS Vincennes à « grande vitesse ». […]
En particulier, Powell a rappelé qu’après que les États-Unis eurent abattu le vol 655, le secrétaire privé de Thatcher pour les affaires étrangères, Charles Powell, « avait immédiatement appelé de Downing Street pour demander ce que les Américains voulaient que le gouvernement britannique dise ». »
John McEvoy, Britan ‘immediately’ supported U.S. over shooting down of Iranian Airliner (« La Grande-Bretagne à « immédiatement » soutenu les États-Unis pour avoir abattu un avion de ligne iranien »), Declassified UK, 20 juillet 2022 (https://www.declassifieduk.org/britain-immediately-supported-us-over-shooting-down-of-iranian-airliner/).
La difficile justice pour les victimes du vol Iran Air 655
Les journalistes français Serge Halimi et Pierre Rimbert notent l’attitude de la presse américaine devant cette catastrophe. D’ordinaires si prompts à se martyriser, les États-Unis ne présentent aucune compassion et aucun respect lorsqu’il s’agit de peuples étrangers :
« Au cours des deux semaines suivant l’accident, la destruction du vol KAL 007 fait l’objet d’une couverture deux à trois fois plus importante que celle du vol Iran Air : 51 pages dans Time et Newsweek dans un cas, 20 dans l’autre ; 286 articles, contre 102, dans le New York Times. Après l’attaque soviétique, les couvertures des magazines américains rivalisent d’indignation : « Meurtre aérien. Un guet-apens impitoyable » (Newsweek, 13 septembre 1983) ; « Tirer pour tuer. Atrocité dans le ciel. Les Soviétiques descendent un avion civil » (Time, 13 septembre 1983) ; « Pourquoi Moscou l’a fait » (Newsweek, 19 septembre 1983). Mais, sitôt que le missile fatal porte la bannière étoilée, changement de ton : il n’est plus question d’atrocités et encore moins d’intentionnalité. Le registre bascule de l’actif au passif, comme si le massacre n’avait pas d’auteur : « Pourquoi c’est arrivé », titre Newsweek (18 juillet 1988). Time préfère même réserver sa couverture aux voyages spatiaux sur Mars et reléguer le drame aérien en pages intérieures, avec le titre : « Ce qui a mal tourné dans le Golfe ». Les qualificatifs les plus courants dans les articles du Washington Post et du New York Timessont, dans un cas, « brutal », « barbare », « délibéré », « criminel » et, dans l’autre, « par erreur », « tragique », « fatal », « compréhensible », « justifié ». Même le regard porté sur les victimes s’embue ou se durcit en fonction de l’identité de leur meurtrier. Doit-on préciser à ce stade à qui les journalistes américains réservent les termes « êtres humains innocents », « histoires personnelles poignantes », « personnes aimées » et ceux, plus sobres, de « passagers », « voyageurs » ou « personnes qui sont mortes » ? »
Serge Halimi et Pierre Rimbert, Si tu veux la guerre, prépare la guerre, Le Monde diplomatique, août 2019 (https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/HALIMI/60159).
L’Iran portera l’affaire devant la Cour internationale de justice en 1996 et les États-Unis accepteront de verser 131,8 millions de dollars de dédommagement. Cependant, les États-Unis n’ont jamais présenté d’excuses et continuent de nier leurs responsabilités.