Guillaume Apollinaire célébrant Ispahan, la « moitié du monde », démontre ce lien charnel et intrinsèque de la poésie française pour la beauté du Monde.
Et quoi de plus normal pour un poète que de célébrer l’Iran et son ipséité commune avec la France pour la Poésie ? Apollinaire témoigne ainsi de l’amitié franco-iranienne et de notre admiration mutuelle entre nos deux merveilleux pays d’art, de culture et d’histoire.
Quand Guillaume Apollinaire célébrait Ispahan en un poème
Ce poème parut dans le recueil Il y a…, publié à titre posthume en 1925 par Albert Messein, l’un des plus importants éditeurs de poésie du XXème siècle.
La poésie française subit au début de ce siècle une transformation profonde, une révolution dans les règles établies. Guillaume Apollinaire est justement l’un des poètes à l’origine de ce bouleversement artistique. Précurseur du surréalisme, il renouvelle les formes et les techniques poétiques de son époque, marquant ainsi la naissance de la poésie française moderne.
Dans le poème Ispahan, Apollinaire nous offre un exemple frappant de ce renouveau artistique. Dépourvu de ponctuation, le texte se déploie avec fluidité et liberté, permettant une lecture fluide et sans interruption. Le poème exprime une musicalité particulière et transporte par le flot des mots.
Ispahanest une ode à la ville éponyme située en Asie du sud-ouest, mais aussi une invocation des sentiments qu’elle éveille. La ville, personnifiée, devient un être vivant à part entière. Elle est capable d’évoquer des émotions profondes chez ceux qui la contemplent. Les strophes, d’une longueur et d’une versification variées, traduisent l’étendue et la diversité de ces sensations.
Guillaume Apollinaire, à travers Ispahan, parvient à créer une atmosphère poétique envoûtante en faisant appel aux sens et aux émotions de ses lecteurs. Le poème nous transporte dans les rues de la ville, nous faisant ressentir l’atmosphère, entendre le murmure des fontaines et voir les jeux de lumière sur les palais majestueux.
Pour tes roses
J’aurais fait
Un voyage plus long encore
Ton soleil n’est pas celui
Qui luit
Partout ailleurs
Et tes musiques qui s’accordent avec l’aube
Sont désormais pour moi
La mesure de l’art
D’après leur souvenir
Je jugerai
Mes vers les arts
Plastiques et toi-même
Visage adoré
Ispahan aux musiques du matin
Réveille l’odeur des roses de ses jardins
J’ai parfumé mon âme
A la rose
Pour ma vie entière
Ispahan grise et aux faïences bleues
Comme si l’on t’avait
Faite avec
Des morceaux de ciel et de terre
En laissant au milieu
Un grand trou de lumière
Cette
Place carrée Meïdan
Schah trop
Grande pour le trop petit nombre
De petits ânes trottinant
Et qui savent si joliment
Braire en regardant
La barbe rougie au henné
Du Soleil qui ressemble
A ces jeunes marchands barbus
Abrités sous leur ombrelle blanche
Je suis ici le frère des peupliers
Reconnaissez beaux peupliers aux fils d’Europe
Ô mes frères tremblants qui priez en Asie
Un passant arqué comme une corne d’antilope
Phonographe
Patarafes
La petite échoppe
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Louprécédé deIl y a, préface de Michel Décaudin, Gallimard, coll. Poésie, 1969, pp. 55-56.
Apollinaire, un poète emblématique
Guillaume Apollinaire est né à Rome en 1885 d’une mère polonaise et d’un père italien qu’il ne connaîtra pas. Il publie au fil du temps dans différentes revues, notamment le Mercure de France de 1909 à 1916. Son premier recueil est publié en 1913 sous le titre Alcools, dans lequel il explore de nouvelles voies esthétiques sans aucune ponctuation.
En 1918, son recueil Calligrammes rassemble des poèmes visuels. Les mots disposés graphiquement sur la page représentent alors une rupture avec la tradition poétique classique. Ils illustrent la liberté de la forme et l’importance accordée à l’aspect visuel dans la poésie moderne.
Pendant les dernières années de sa vie, Apollinaire a trouvé une nouvelle source d’inspiration : la guerre. Convaincu par l’idée de défendre son pays, il est désormais devenu un soldat engagé, arborant fièrement son uniforme et ses décorations. En 1916, année de sa naturalisation, il est blessé à la tempe par un éclat d’obus et dut subir une trépanation. La guerre influencera profondément ses réflexions sur la poésie et l’art en général.
En mai 1918, Apollinaire épouse Jacqueline Kolb, surnommée « la jolie rousse » de ses calligrammes. Cependant, affaibli par sa blessure, il ne put résister à l’épidémie de grippe espagnole et décéda le 9 novembre suivant. Son œuvre et sa contribution à la poésie moderne restent aujourd’hui une référence incontournable dans le domaine de la littérature.
Après sa mort, ses poèmes inédits furent rassemblés dans des recueils tels que Il y a… (1925), Ombre de mon amour (1947), Poèmes secrets à Madeleine (1949) ou bien encore Le Guetteur mélancolique (1952).