Catégories
HistoireSociété

Sepandarmazgan, la fête des femmes en Iran

Sepandarmazgan (سپندارمذگان) est un événement méconnu de la culture iranienne : il s’agit de la fête des femmes en Iran. Cette célébration met à l’honneur les femmes iraniennes. Morgan Lotz y consacre d’ailleurs un chapitre dans son livre Les Iraniennes.

Sepandarmazgan célébration femmes Iran

Les origines de la fête de Sepandarmazgan, la célébration des femmes en Iran

Cette fête est issue des calendriers mazdéens et zoroastriens. Ceux-ci comptaient douze mois de trente jours, chacun représentant une divinité ou une vertu. Le cinquième jour de chaque mois est dédié à Sepandarmazd, une divinité féminine symbolisant la Terre. Celle-ci est également associée à l’humilité, la sainteté, la passion et la fécondité. Ce cinquième jour du dernier mois de l’année correspond au 24 février dans notre calendrier grégorien.

La fête de Sepandârmazd est une célébration qui n’est liée à aucune tribu ou ethnie spécifique. En effet, celle-ci s’avère profondément ancrée dans la culture iranienne. Dans les croyances anciennes, la femme est associée à la Terre et à la végétation, tandis que l’homme est associé au ciel et à la pluie.

Zoroastre, le fondateur du zoroastrisme, mentionne cette célébration dans ses écrits. Zoroastre honore les femmes à plusieurs reprises dans ses écrits, notamment dans le Farvardin Yasht et le Yasna 38.

Le 24 février, la journée des femmes iraniennes

Lors de la fête de Sepandârmazd, les hommes offrent des cadeaux aux femmes. Cela vaut à cette célébration une autre appellation : mardgiran, ce qui signifie le fait de recevoir un cadeau d’un homme. Dans certaines régions d’Iran, des coutumes locales perdurent, comme la préparation d’un potage traditionnel appelé ash-é esfandi par les femmes lors de cette fête.

Sepandârmazgân est donc une fête qui célèbre l’épouse, la femme aimée, symbole de la fécondité et du renouvellement de la vie, ainsi que l’amour au sein du couple, sans considération de la sexualité. Cette fête célébrée chaque 24 février demeure l’une des plus populaires et des plus essentielles en Iran. C’est avant tout une occasion de rendre hommage aux femmes, mais aussi de célébrer la culture iranienne et de préserver les traditions de l’Iran.

Catégories
HistoireReligion et Spiritualité

La mosaïque religieuse au Proche et au Moyen-Orient : aperçu des religions du Liban à l’Iran

par Morgan Lotz

Tous droits réservés

Nous avions écrit dans La Voie vers le Divin que « Les origines des religions, aussi diverses qu’elles soient, ont toujours interrogé les hommes : pensive interrogation devant le Mystère de ce qui l’entoure, conscience des limites de sa raison ou bien encore frayeur devant ce qui est plus grand que lui et qui semble le diriger. Aspect plussociologiquedu domaine religieux, avec le développement d’une existence moralisée et groupée autour d’une direction sociale commune et acceptée. Plus poétique et transcendant, l’expression d’une cosmogonie dont sourd l’ordonnance universelle ou s’exprime les faits historiques transformés en mythes ou légendes par le temps et la foi… Ou parfois plus simplement l’adoption et l’acceptation des conceptions de certains penseurs ou prophètes.

Détentrice d’un rôle considérable tout au long de l’Antiquité, les religions sont alors polythéistes et centrées sur une échelle locale ou nationale. Emplies de symboles et fortement fétichistes, elles mêlent l’anthropomorphisme à une multitude de divinités auréolées de diverses légendes et mythes, en témoignent les religions de l’Égypte antique, de l’Inde, ou bien encore de la Mésopotamie pour ne citer que les plus connues. 

Parmi les diverses religions existantes au cours de l’Antiquité, trois vont dénoter : le judaïsme, considéré à tort comme le premier monothéisme, le christianisme et le zoroastrisme, véritable premier monothéisme trop souvent oublié de nos manuels d’histoire religieuse. En effet, le zoroastrisme apparut en Iran environ deux millénaires avant Jésus-Christ et inspirera aussi bien le judaïsme que le christianisme et, plus tardivement, l’islam. Une véritable révolution apparaît avec le monothéisme : l’Existence et la Parole divine émanent d’un Dieu qui s’est révélé à un homme, un prophète. La Révélation porte alors une nouvelle dimension, celle du lien entre Dieu et l’humanité, à qui Il s’adresse personnellement. L’Incarnation du Verbe en Jésus-Christ n’est pas encore venue que déjà les cœurs et les âmes sont ébranlés par le bouleversant rappel de leur origine céleste…

La foi en un dieu unique et en l’unité de ce dieu est portée pour la première fois par Zoroastre, aux alentours du second millénaire avant Jésus-Christ en Iran. Porté par le judaïsme, le christianisme et enfin l’islam, le monothéisme voit le mariage en son sein d’une philosophie spirituelle et d’une théologie explicative. Pour les théologiens-philosophes, l’existence de Dieu est conséquente aux preuves théologiques établissant l’unité divine : ainsi la coexistence de deux êtres parfaits et immuables est impossible, la perfection excluantipso facto toute division et tout partage. De plus, nul ne peut être à la fois parfait et moins parfait que le second qui serait lui aussi parfait. Il en résulterait une absurdité annihilant toute possibilité d’harmonie émanant d’une unique sagesse ordonnatrice du monde ; il ne peut y avoir plusieurs causes premières dans la conception universelle, de même que le terme de chaque existence ne pourrait résider hors d’une unité suprême en laquelle converge l’unicité de cette existence – partie de sonalpha, elle retourne à sonoméga.

Il convient d’apporter une précision salutaire : Zoroastre professait un monothéisme véritable s’articulant autour d’une notion assez complexe de dualité. Selon la définition donnée par Khosro Khazai Pardis, Ahurâ Mazdâ est « l’essence créatrice de l’existence intelligente ; le principe d’existence qui offre la sagesse ; dieu de la Vie et de la Sagesse. » L’Avestâ mentionne l’existence d’une entité auto-créée génératrice du Mal qui s’oppose aux forces d’Ahurâ Mazdâ, génératrice du Bien et de la pensée créatrice. Ces forces démoniaques sont appelées Angrâ Mainyu en avestique et Ahriman en moyen-persan. Mais ce dualisme zoroastrien qui voit s’affronter Spentâ Mainyu (les forces d’Ahurâ Mazdâ, en avestique) contre leur reflet maléfique est un dualisme avant tout éthique, un « dualisme éthique qui n’a de sens qu’au niveau de la pensée humaine ». Ainsi, dans la dichotomie zoroastrienne des forces et des phénomènes, Khosro Khazai Pardis nous explique que « chaque force ou chaque phénomène s’identifie et prend un sens par la force ou le phénomène qui constitue son opposé. » Il s’agit d’un phénomène qui prend sa source dans la pensée et n’est perçue que par elle ; seuls les êtres vivants peuvent déceler l’aspect négatif qui conduit au malheur ou l’aspect positif qui conduit au bonheur présent dans chaque élément de la Création. »[1]

Déjà très fortement imprégné par la spiritualité, la région que nous définissons en Occident comme le Proche et le Moyen-Orient est devenue le berceau du divin pour l’humanité entière. Terre de foi et de mystère, elle constitue une vaste zone géographique parmi laquelle existe une mosaïque composée d’autant de cultures et de religions que de peuples.

Le judaïsme

La communauté juive ne dépasse guère les 3% de la population totale présente au Proche et au Moyen-Orient : cette présence juive dans la région date soit directement de l’époque biblique, soit des migrations fuyant l’Espagne en raison de l’Inquisition instaurée en 1478 et ordonnant aux Juifs l’exil ou le baptême à partir de 1492.

En mai 1948, l’état d’Israël est instauré en Palestine, provoquant une très forte immigration originaire de nombreux pays d’Europe, du Maghreb, d’Amérique, mais également dans une moindre mesure d’Asie centrale. Bien qu’une communauté judaïque fût de tout temps présente, l’essentiel de sa composition actuelle provient de la diaspora : entre 1800 et 1947, la population juive originaire du Maghreb, d’Italie, de Grèce et de Syrie évolue de 5000 individus à 65 000 vers l’Égypte, tandis que leurs coreligionnaires venant d’Europe centrale et orientale évolue de 85 000 individus en 1914 à 136 000 en 1925 et 600 000 en 1947.[2] La population juive d’Irak va quant à elle considérablement s’accroître au 19ème siècle en regroupant les migrations juives originaires d’Iran, d’Aden et du Kurdistan, tandis que les juifs d’Afghanistan se tourne vers l’Inde du nord et la Chine à partir de 1830.[3]

Aujourd’hui, la population d’Israël se compose à 74% de juifs, 18% de musulmans, 2% de chrétiens, 1,5% de druzes et 4,5% de personnes appartenant à d’autres religions.[4]

Le christianisme

Le christianisme est historiquement présent au Proche et au Moyen-Orient où il trouve son origine. Représentant la quasi-totalité de la population de cette région avant la conquête arabo-musulmane du 7ème siècle, la présence chrétienne perdure encore aujourd’hui et compose intrinsèquement l’identité aussi bien spirituelle qu’intellectuelle ; en effet, nombre de populations demeurèrent chrétiennes et jouèrent un rôle important dans la fondation et l’évolution des empires, royaumes et nations modernes, mais également dans l’essor de la conscience de l’identité culturelle arabe sous les dominations des empires ottoman et coloniaux, la nahda, et le développement de la pensée politique du panarabisme.[5] Nous pouvons également citer à ce titre le rôle des chrétiens arméniens en Iran au sein de l’empire safavide.

L’islamisation de la région proche et moyen-orientale ne fut réalisée que lentement en dépit de la domination militaire et politique des envahisseurs arabo-musulmans, les idiomes autochtones s’étant conservés fort longtemps ainsi que la foi chrétienne. Et bien que la langue arabe soit adoptée au 10ème siècle par ces populations, permettant de la sorte l’émergence d’une littérature arabo-chrétienne et une théologie chrétienne « orientale » et devenant même une langue liturgique à part entière, l’araméen, langue de Jésus-Christ par excellence, est encore usitée de nos jours parmi les population chrétiennes et mandéennes. La conversion à l’islam de la majorité des populations autrefois chrétiennes du Proche-Orient s’est réalisée avant tout selon des facteurs politiques, économiques et culturels, dont la complexion varie selon les époques. Les tentatives d’éradication furent cependant rares, fluctuant avec le degrés de rigorisme ou d’ouverture des institutions politiques qui se succédèrent ; une période que Christian Cannuyer qualifie d’« âge d’or »[6] s’établit du 9ème au 13ème siècle entre les chrétiens et les musulmans de l’Égypte à la Syrie et la Mésopotamie. La décroissance de la communauté chrétienne débute au 14ème siècle, mais de manière inconstante – l’Empire ottoman connaîtra même une hausse démographique entre les 16ème et 20ème siècles. Une diminution se constate au 20ème siècle, évoluant d’une moyenne comprise entre 10 et 15% en 1900 à 8% en 2000.

Une présence chrétienne demeure toujours au Proche et au Moyen-Orient, se divisant en plusieurs Églises.

Les melkites, aussi dénommés chalcédoniens par les monophysites de Syrie et d’Égypte, sont les chrétiens rattachés aux patriarcats d’Antioche et de Jérusalem demeurés fidèles à la confession orthodoxe de l’Empire byzantin après le concile de Chalcédoine en 451. Le mot melkite provient d’ailleurs du syriaque malkô, signifiant « le roi ». De même que les Églises orientales autocéphales dites orthodoxes, l’Église melkite se sépare de l’Église catholique romaine lors du schisme de 1054 et adopte graduellement la liturgie byzantine, raison pour laquelle elle est considérée comme une Église orthodoxe. Christian Cannuyer précise que les melkites « confessent la foi de Chalcédoine dans la dualité de nature et l’unité de personne du Christ, fils de Dieu, Sauveur né de la Vierge Marie, vénérée à cet égard comme « Mère de Dieu ». »[7] Majoritairement présents en Syrie et en Palestine avec les patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, les melkites demeurent également en Égypte avec le patriarcat d’Alexandrie. Autre précision, et non des moindres, le rite melkite est formulé en langue arabe et non en langue grecque.

Les nestoriens, entretenant par leur appellation leur fidélité à la mémoire du patriarche de Constantinople Nestorius qui fut condamné en 431 par le concile d’Éphèse, sont plus connus depuis le 19ème siècle sous l’appellation d’Église assyrienne. Église des chrétiens d’Irak et d’Iran par excellence, elle demeure « tributaire de l’école d’Antioche, attentive à affirmer l’humanité et la divinité de Jésus, sans confondre les deux, sans non plus les dissocier. L’épithète de « Mère de Dieu », attribuée à Marie, lui semblait ouvrir la porte à une sorte d’occultation de l’humanité de Jésus. »[8]

Au 16ème siècle apparaissent les uniates, désireux de se réunir avec l’Église catholique : c’est ainsi que naissent les Églises orientales catholiques, regroupant les Églises coptes catholiques, syrienne catholique (parfois aussi dénommée syriaque catholique), arménienne catholique et chaldéenne catholique dont les racines remontent aux nestoriens. Sans pour autant renoncer à leurs us auxquels elles souloient tels que le baptême par immersion, la communion eucharistique sous les deux espèces ou bien encore le mariage des prêtres, certaines adaptèrent leurs rites selon l’influence théologique et liturgique qu’elle connurent.

Les maronites, constituant la plus importante communauté catholique présente au Proche-Orient, se considèrent pour leur part toujours unis à l’Église catholique romaine. Présents également en Syrie, en Turquie et à Chypre, ils jouèrent un rôle important dans l’histoire du Liban qui s’avère être leur fief historique.

Ces différentes communautés côtoient également les Églises dites monophysites, « héritières d’une anthropologie selon laquelle l’unité de la personne de Jésus est si parfaite qu’on ne peut plus parler en lui, après l’incarnation, d’une nature humaine et d’une nature divine mais d’une seule nature (en grec : monè physis) divino-humaine. »[9] Elles se composent des Coptes égyptiens, des Éthiopiens, des Arméniens et des Syriaques.

Enfin, un patriarcat latin de Jérusalem est créé en 1847 sous l’impulsion du Vatican dans le dessein de redonner un souffle aux communautés latines qu’il eut établit sous l’époque des croisades, concurrencé par quelques communautés protestantes et anglicanes au 19ème siècle.

L’islam

L’islam peut schématiquement se diviser en deux grandes catégories qui se distinguent d’un premier abord, à savoir le sunnisme et le shî’isme, elles-mêmes non exemptes de divisions que nous allons découvrir.

Le sunnisme rassemble environ 85 à 90% des musulmans dans un courant qui voit en la tradition, la sunna, la voie de la vérité héritée par les quatre premiers califes successeurs du Prophète, à savoir Abou Bakr, Omar, Othman et ‘Ali. C’est justement lors de l’assassinat d’Othman en 656 que la désignation d’Ali – qui n’est autre que le cousin du Prophète devenu son gendre par son mariage avec Fâtemeh – va provoquer une division au sein de la communauté des croyants : le gouverneurs de Syrie Mou’awiya (605-680) refuse de le reconnaître comme calife, et ce dernier, suivi par la majorité des musulmans, hérite du pouvoir politique à la faveur d’un arbitrage truqué – dit arbitrage « d’Adroh » – et de plusieurs affrontements armés qui s’ensuivirent. Pour les sunnites, le critère de la foi se base sur la tradition du Prophète et de ses compagnons dénommée la sunna.

Le sunnisme se divise en quatre rites juridiques : le chaféisme, le hanafisme, le hanbalisme et le malékisme.

Le chaféisme, fondé par al-Shâfi’i (767-820), énonce de manière claire et concise les sources du droit islamique en recourant sur les deux premières sources que sont le Qorân et la sunna puis, si cela ne suffit guère, à l’idjmâ’, c’est-à-dire le consensus réuni par les Compagnons du Prophète. Si toutefois cela s’avère toujours inopérant, le recours au raisonnement par analogie, à l’effort de réflexion personnelle, ainsi qu’à l’opinion personnelle du juge, est permis.

Le hanafisme, fondé par Abou Hanifa (699-767), privilégie le raisonnement par analogie et l’opinion rationnelle personnelle ainsi que l’estimation personnelle ou la meilleure solution. Bien souvent considéré comme l’école rationaliste, il fut le rite juridique adopté par l’Empire ottoman et demeure présent en Inde, en Chine, en Asie centrale, en Syrie, en Jordanie et en Égypte.

Le hanbalisme, fondé par ibn Hanbal (780-855), constitue l’école juridique la plus rigoriste, refusant toute innovation et recours au raisonnement par analogie et réclamant une fidélité absolue au Qorân et à la sunna qu’il considère comme seul et unique critère pour le fondement de la Loi.

Le malikisme, fondé par Mâlik ibn Anas (vers 711 – 795), représentant géographiquement l’islam maghrébin, se distingue des autres rites juridiques par son principe d’utilité générale et sa considération de la coutume comme une source du droit en plus du Qorân et de la sunna, ainsi que l’idjmâ’ et le raisonnement par analogie.

Le sunnisme connaît également des mouvements plus sectaires tels que le khâridjisme, parfois considéré comme une troisième branche de l’islam. D’abord partisan d’Ali, en raison de leur récusation de l’arbitrage fallacieux d’Adroh, les khâridjites finissent par s’opposer à lui et sont vaincus par les troupes alides lors d’une bataille rangée le 17 juillet 658. Estimant que « le jugement appartient à Dieu seul », ils mènent alors une véritable guerre contre le califat nouvellement installé en se tournent vers la commission d’attentats terroristes, dont l’un coûta la vie à ‘Ali en janvier 661, mettant de la sorte un terme à son califat et ouvrant la voie à l’exercice du pouvoir califal de Mou’awiya et de la dynastie des Ommeyades.[10]

Les khâridjites se divisent en plusieurs groupes après la disparition du calife Yazid en 683, dont les ibadites constituent la principale branche qui se souleva contre le califat ommeyade avant d’être refouler vers le Maghreb où ils inciteront les Berbères à la révolte. Ils fondèrent la dynastie des Rostemides qui régna de 777 à 909 dans la région de Tâhert (en Algérie), raison pour laquelle quelques groupes subsistent encore en Afrique du Nord, plus précisément à Mzab, Ouargla et Djerba ; c’est cependant dans l’Oman, en Tripolitaine et à Zanzibar qu’ils perdurent encore aujourd’hui. Désirant un « califat électif, confié au plus digne, ils sont, en théologie et en morale, rigoristes et littéralistes : condamnation du luxe, rejet d’une sourate regardée comme frivole (celle de Joseph), interprétation littérale du Coran (parole incréée de Dieu), nécessité d’une conscience pure avant la Prière, des œuvres avec la foi… »[11]. Leur idéologie persiste et se développe parmi une vingtaine de sectes, dont le mouhakkimisme, le thaalabisme, l’adjradisme ou bien encore l’azraquisme et le nadjâdisme, ces derniers considérant les autres musulmans comme des infidèles. Bien que l’ibadisme soit pacifiste, les autres groupes ont en commun le takfirisme, c’est-à-dire l’excommunication d’un croyant musulman et sa déchéance vers le statut de mécréance. Enfin, notamment présent parmi les Berbères zénètes, le sufrisme s’avère lui aussi de tendance khâridjite mais moins fanatique et intolérant en raison de sa motivation avant tout séditieux contre la domination arabe, allant même jusqu’à autoriser le mariage et l’héritage avec d’autres communautés religieuses, même polythéistes, contredisant de la sorte l’interdiction islamique de l’hymen entre une âme musulmane et une âme n’appartenant pas à la communauté des Gens du Livre, à savoir les zoroastriens, les juifs et les chrétiens.

*

Pour le shî’isme, la révélation du sens spirituel est encore à attendre, et c’est là la tâche herméneutique dont sont investis les Imâms. Cette révélation ne sera complète qu’une fois accomplie la parousie de l’Imâm caché, c’est-à-dire du Douzième Imâm qui reviendra guider les croyants afin qu’ils ne s’égarent pas lors de la fin des temps. La métaphysique shî’ite étant dominée par l’idée de Dieu inconnaissable, inaccessible et innommable dans son Essence, se dégage alors l’idée de son épiphanie dans un plérôme de quatorze entités de lumière manifestées sur Terre : il s’agit des « Quatorze Immaculés », comprenant le Prophète, sa fille Fâtima et les Douze Imâms.

Le Shî’isme se définit comme une religion d’amour spirituel initiant à la connaissance de soi dans laquelle le Prophète est le sceau de la prophétie et l’Imâm le sceau de la walâyat.Walâyat signifie « amitié » en arabe et se rapporte à la dilection et l’amour que professent les adeptes à l’égard des Imâms. Ce cycle de la walâyat constitue une initiation progressive au sens intérieur, spirituel, ésotérique (appelé bâtin) des Révélations divines. Puisqu’il existe de la sorte un lien personnel entre le croyant et les saints Imâms, il n’est donc guère nécessaire de se grouper en taqîqats et de suivre l’enseignement de shaykhs pour être guidé. On pourrait penser que l’Imâmat est une simple succession de pouvoir et d’autorité – il n’en est rien. Il est important de comprendre que l’Imâmat ne se transmet pas parce que l’Imâm successeur est le fils, mais qu’il est justement le fils parce que l’Imâmat se transmet à lui. L’Imâm est en fait un pôle mystique duquel se transmet la lumière divine qui illumine l’âme depuis le monde de l’Amour, monde que Sohravardî (1155-1191) décrit comme Nâ-kodjâ Abâd (littéralement le « pays du non-où »), le monde au-delà du « lieu » de ce monde. Ainsi Henry Corbin qualifierait l’Imâm comme le « (…) mystère du chaque-fois-unique de tous les Uniques, de l’Un multiplié à l’infini par lui-même et qui est toujours l’Un unique. »[12]

Communauté shî’ite la plus importante après les duodécimains, l’ismaélisme, parfois dénommé shî’isme septimain, naquit d’une scission survenue lors de la désignation en 765 du VIIème Imâm Mousa al-Kâzim. Christian Jambet et Mohammad Ali Amir-Moezzi notent à son propos : « L’ismaélisme a su garder, dans ses nombreuses subdivisions et branches, une dimension ésotérique fondée à la fois sur les enseignements des imâms et sur des éléments d’origines diverses (iranienne, néoplatonicienne, pythagoricienne, gnostique, etc.) intégrés à la doctrine. Les différentes formes d’ismaélisme se firent également remarquer, pendant tout le Moyen Âge, par leur importance historique et leur poids sur l’échiquier politique de l’empire islamique. Le mouvement carmate (9ème et 10ème siècle), incluant dans sa théologie politique un système égalitaire et la lutte armée contre le pouvoir sunnite des Abbasides, connut une propagation fulgurante dans tout le sud de l’Iran, la région du Golfe persique et une grande partie de la péninsule arabique. […]

« Le schisme le plus important survint cependant à la mort du calife al-Mustansir en 487/1094, lorsque les fidèles se scindèrent en deux factions rivales, les Musta’lites et les Nizârites, factions qui connurent plus tard de nombreuses subdivisions et qui existent encore de nos jours. Les Musta’lites, sans doute plusieurs centaines de milliers au moins, se trouvent aujourd’hui principalement au Yémen, en Afrique orientale et en Inde (surtout dans le Gujerat, où ils sont connus sous le nom de Bohra). Les Nizârites, quant à eux, eurent une active et fructueuse propagande en Syrie, et surtout en Iran. Ce sont eux que les chroniqueurs médiévaux des croisades appelèrent les Assassins. […] Après l’invasion mongole et la chute d’Alamût (13ème siècle), les Nizârites entrèrent dans la clandestinité, les fidèles se dispersèrent et bon nombre d’entre eux, cachant leur identité doctrinale, rejoignirent le shî’isme duodécimain ou les confrérie soufies. Les ismaéliens actuels sont, pour la plupart, issus d’un schisme nizârite. La plupart d’entre eux, peut-être plusieurs millions (aucune statistique fiable n’existe à ce jour), vivent en Inde – connus sous l’appellation Khoja – et aussi en Asie centrale, en Iran oriental, dans les petites communautés secrètes dispersées dans tout le Proche et Moyen-Orient, au Yémen, en Afrique orientale, enfin en Europe et en Amérique du Nord. Depuis leur sortie de clandestinité, les imâms reconnus par la majorité de ces descendants des ismaéliens d’Alamût appartiennent à la célèbre famille, d’origine iranienne, des Aga Khan. »[13]

L’ismaélisme, véritable bouillon de réflexion spirituelle, va engendrer une autre spiritualité qui se développe pour aboutir à une véritable religion : il s’agit du druzisme, né lorsque mourut en 1021 le sixième calife fâtimide al-Hakim, de la considération de certains de ses fidèles qui « […] le considérèrent comme occulté et comme le Mahdi attendu. Ils prirent pour eux-mêmes le nom de Muwahhidûn (« Unitaires »), mais ils seront plus connus sous l’appellation Druzes. »[14] Se fondant sur l’initiation à l’ésotérisme islamique et se centrant sur l’affirmation de l’unicité divine, le druzisme intègre moult notions provenant aussi bien des philosophies pythagoricienne et néoplatonicienne que des spiritualités hindouiste et bouddhiste, expliquant ainsi la croyance en la métempsycose.La plupart de ses membres quittèrent l’Égypte après la chute du califat fatimide en 1171 pour se réfugier dans les montagnes du Liban. Les Druzes – environ un million de personnes – se répartissent entre le Liban (entre 300 000 et 350 000 individus), la Syrie (entre 500 000 et 750 000 individus) et Israël depuis l’annexion du plateau du Golan en 1981 (environ 100 000 individus) et dans une moindre mesure, la Jordanie, étant reconnue comme une communauté religieuse indépendante.

Une autre branche issue du shî’isme apparaît au 9ème siècle à la suite des révélations que fit le XIèmeImâm Hassan al-‘Askari à son disciple Mohammad Ibn Nusayr al-Namiri al-‘Abdi (mort en 884), qui donnera son nom au nusayrisme, connut également sous la dénomination d’alaouisme. L’alaouisme considère une triade formée du prophète Mohammad qui en est le Nom ou le Voile, de son gendre et Ier Imâm ‘Ali qui en est le Sens ou l’Essence et de Salmân le Perse (Salmân Pâk, « Salmân le Pur »), leur compagnon, qui en est la Porte. Selon la foi nusayrienne, ‘Ali avait créé Mohammad qui créa ensuite Salmân le Perse, le prophète de l’islam devenant consécutivement un personnage secondaire après son cousin et gendre porteur de la connaissance de la véritable foi, le bâtin, c’est-à-dire l’ésotérique, qu’il enseigna et transmis de manière initiatique tandis que la religion littéraliste et exotérique, lezâhir, s’adresse à la masse ignorante. L’Esprit saint bénit le croyant alaouite dont l’âme loua Dieu avant de se rebeller par le doute et de s’incarner sur Terre où l’incarnation dans la chair terrestre le condamne au cycle de la métempsychose que la miséricorde divine propose de briser en se révélant pour reconduire l’âme à la contemplation. Présents en Syrie à hauteur de 10% de la population, les alaouites sont également présents en Turquie et au Liban.

Enfin, l’alévisme qui, bien que se rattachant originellement au shî’isme par le VIème Imâm Dja’far al-Sâdeq, constitue une religion particulière tendant vers le soufisme, que certains n’hésitent pas à classer hors de l’islam. Son fondateur, Hünkar Hadji Bektaş Veli (1209-1271), qui donne son nom au bektachisme qualifiant aussi l’alévisme, fut un maître soufi dont le rôle dans l’islamisation de l’Anatolie et des Balkans s’avéra essentiel. Il naquit à Nishâpour, ville d’Iran marquée par la spiritualité dans son histoire et son identité avec la fondation d’un évêché nestorien au 5ème siècle et la venue au monde de Ghazâli, Omar Khayâm ou bien encore ‘Attâr pour ne citer qu’eux. Dès lors, les influences asiatiques ne paraissent plus étrangères, l’alévisme transmettant des éléments issus du tengrisme (culte de la divinité du ciel éternel, à savoir Tanrı), du chamanisme, du bouddhisme, du hurufisme (un courant soufi azéri datant du 14ème siècle) et du cultes des anciens, à savoir le culte de la nature (montagne, roche, arbre) et le culte du Dieu-Ciel (Gök-Tanrı). Bektaş Veli n’est pas étranger à la pensée spirituelle mongole puisqu’il a 49 ans lorsque tombent Baghdâd et avec elle le califat abbaside en 1258. Pour les alévis, le Qorân est bien évidemment un livre sacré, ainsi que les Ancien et Nouveau Testaments constituant le canon chrétien, de même que les écrits apocryphes. Présents en Turquie à hauteur de 10 à 15 % selon les estimations officielles de l’État turc qui a longtemps persécuté cette communauté et 20 à 25 % selon les alévis, ils sont également présents dans les Balkans, en Bulgarie, à Chypre, en Crimée, en Syrie, en Irak, en Azerbaïdjan et en Iran.

En Irak, le shabakisme constitue la religion du peuple Shabak vivant dans le Kurdistan irakien et la périphérie de Mossoul. S’identifiant majoritairement comme shî’ites, leur spiritualité contient cependant quelques similitudes avec le christianisme et le yârsânisme dans ses traditions et combine des éléments soufis, notamment l’interprétation unique de la réalité spirituelle, c’est-à-dire l’abolition de l’interprétation exotérique du Qorân, lezâhir, dont émane la shari’at. Les croyants shabaks visitent des sanctuaires yézidis et shî’ites et suivent les enseignements shî’ites. Le shabak boyeroug, le livre d’al-manâqeb, rédigé en langue turkmène d’Irak constitue leur texte sacré, de même que les poèmes de Shâh Ismâ’il Ier(1487-1524), fondateur de l’empire safavide d’Iran en 1501, sont également considéré comme sacrés en raison de leur inspiration divine ; ils sont des secrets divins psalmodiés dans leurs assemblées religieuses.

*

Parmi les autres religions présentes au Moyen-Orient se trouve le yézidisme, qui perdure encore de nos jours en Irak et en Syrie. Issus des tribus iraniennes mèdes installées dans l’actuel Kurdistan entre les 9ème et 8ème siècles avant Jésus-Christ, les Kurdes sont à cette époque pour leur presque totalité zoroastriens, à l’exception d’une minorité yazdâniste (le culte des Anges, les Yazdâni), dont la survivance se retrouve selon le kurdologue Merhad Izady parmi l’alévisme, le yârsânisme et le yézidisme. Il ne s’agit aucunement d’un dérivé du zoroastrisme bien qu’il témoigne de racines communes : la cosmogonie yézidie présente des similitudes avec les cosmogonies des anciennes religions iraniennes, c’est-à-dire les religions prézoroastriennes. Dieu est créateur du monde mais délègue sa conservation à sept anges dont le plus importants est Malek Tâwous, une de ses émanations créée le premier jour, le dimanche. Si Malek Tâwous, dont le nom signifie en kurde « ange-paon », est souvent représenté sous la forme d’un paon, c’est parce que cet animal symbolise la diversité, la beauté et le pouvoir. Également dénommé quelquefois Azrâ’il, il côtoie Dardail créé le deuxième jour (lundi), Israfil créé le troisième jour (mardi), Machael créé le quatrième jour (mercredi), Anzazil créé le cinquième jour (jeudi), Chemnail créé le sixième jour (vendredi) et Nourail créé le septième jour (samedi). Les yézidis disposent de deux livres sacrés, à savoir le ketâb-é cilwe (le « livre des Révélations »), décrivant la relation de Malek Tâwous avec les yézidis, et le mishefa res (le « livre noir »), décrivant la cosmogonie et édictant la législation religieuse. Le yézidisme présente des points communs avec le zoroastrisme, leur jour férié étant pour ces deux religions le mercredi, ainsi que les cinq prières quotidiennes dont celle du matin en direction du soleil est semblable à la prière zoroastrienne, mais également des similitudes avec le mithraïsme dont il a hérité du sacrifice du taureau en automne.

Le yârsânisme est quant à lui principalement présent dans son pays d’origine qu’est l’Iran et dans le Kurdistan irakien où il se répandit au fil du temps. Les yârsânistes sont estimés à 4 millions de personnes, dont 3 vivant en Iran où ils sont dénommés les Ahl-é Haq, appellation signifiant les « Gens de la Vérité ». Considérant leur religion comme éternelle, celle-ci mêle les principes du shî’isme avec d’autres éléments tel que la métempsychose dans un cycle durant 50 000 ans et comprenant 1000 réincarnations constituant chacune les étapes de perfectionnement de l’âme qui s’achève dans l’éternité. Selon la cosmogonie yârsâne, Dieu – qu’ils dénomment hou aval âkhar yâr, « Dieu premier et dernier ami » – créa l’univers en deux étapes : d’abord la création de l’univers spirituel puis celle de l’univers matériel. Chaque être existe pour une raison directement ou non issue de la révérence de la grâce obligatoire ; ainsi n’est-il pas intrinsèquement mauvais mais les effets néfastes doivent être atténués et éliminés par l’effort de la bonté – ainsi retrouverions-nous le triptyque moral zoroastrien de la bonne pensée, bonne parole et bonne action. Émile Bouvier rapporte : « Selon l’eschatologie[sic !] yârsâne, il n’y avait, au Commencement, qu’un monde recouvert d’eau. Au fond de cet océan se trouvait une perle, au cœur de laquelle se trouvait l’Essence divine. Celle-ci aurait d’abord donné naissance à ses sept compagnons, les Haftan (« sept corps »). Ensuite, à la demande des Haftan, la divinité serait sortie de la perle et aurait pris la forme de Khavankar (parfois orthographié « Khawandagar »), le « Seigneur dieu » ; ce Dieu aurait créé le monde en brûlant la perle : la fumée aurait donné naissance au ciel, aux étoiles et aux nuages, et la cendre à la Terre. Les Haftan lui auraient ensuite demandé de créer l’Humain, ce qu’il fit avec un morceau d’argile jaune, avant de l’implorer de se manifester en une forme humaine. Dieu souhaita alors insuffler une âme dans le corps d’un homme, ce qu’elle refusa de faire ; face à l’obstination de l’âme, les Haftan seraient entrés dans le cœur de l’homme et y aurait joué de la musique. Lorsque l’âme aurait entendu la musique, elle serait entrée en transe et aurait rejoint le corps de l’homme dont elle reste, aujourd’hui encore, prisonnière. »[15] Sept théophanies constituent les révélations de Dieu, apparues chacune en une époque différente, la première étant celle de Khavankar et la seconde celle de ‘Ali, les troisième et quatrième étant les plus importantes : Shâh Khoushin au 11ème siècle acte le premier pacte divin et Sultan Sahak au 14ème siècle formalise le dogme. Détail fort intéressant, la tradition yârsâne rapporte que leurs mères furent fécondées encore vierges par Dieu de la même manière que Marie enfanta Jésus-Christ dans la tradition chrétienne.

La religion la plus récente s’avère être le bahâ’isme (parfois aussi dénommé bâbisme), apparu en Iran lorsque Mirza ‘Ali Mohammad (1819 – 1850), un jeune commerçant shirâzi proclama en mai 1844 l’unité spirituelle de l’humanité et, se croyant la manifestation du Mahdi – le Douzième Imâm shî’ite actuellement en occultation – s’octroya le titre de « Bâb », ce qui signifie la « porte » dans le sens où celle-ci donne accès à la connaissance des vérités divines. Il est rejoint par dix-sept disciples, dont Fâtemeh Baraghani, (1817 ou 1818 –1852), une poétesse et théologienne qui répudia mari et enfants après son expulsion d’Irak où elle étudiait le shaykhisme afin de poursuivre son enseignement à travers l’Iran. Honorée du titre de « Tâhereh », signifiant « pure », elle est pour beaucoup un modèle et une source d’imitation, bien qu’elle ne fasse cependant pas l’unanimité au sein de la communauté en raison du caractère trop révolutionnaire de sa conception du bahâ’isme. Toutefois, elle demeure pour beaucoup de bahâ’is l’équivalent de Fâtemeh pour les Shî’ites, voire pour certains sa réincarnation. Les avis sont partagés concernant son abandon du voile : certains y voient un acte de militantisme féministe précoce tandis que d’autres le perçoivent comme un symbole acté de l’abolition de la loi prophétique mohammadienne. Ce mouvement religieux réformateur du Shî’isme va se heurter aux oppositions du gouvernement qâdjâr et du clergé shî’ite. Le Bâb est fusillé en juillet 1850 et Fâtemeh exécutée par strangulation à Téhéran en août 1852. Il faut attendre l’année 1863 pour que le premier disciple du Bâb, Mirzâ Hossein-‘Ali Nouri (1817-1892), relance le bâbisme en se déclarant être la réalisation de la prophétie annoncée par Mirza ‘Ali Mohammad. Cette spiritualité demeure cantonnée en Iran et en Turquie jusqu’à la mort de Nouri survenue en 1892, avant que son fils ‘Abâs Efendi, dit « ‘Abd al-Bahâ’ » (1844-1921), ne reprenne sa succession et développe sa foi en Europe et en Amérique du Nord. Aujourd’hui, le bahâ’isme est présent dans le monde entier, son siège se situant à Haïfa et Acre, en Israël ; selon ses chiffre, sept millions de personnes suivraient ses enseignements dans près de 190 pays. La foi bahâ’ie considère Dieu comme unique et éternel, créateur de l’Univers, « Dieu personnel, inconnaissable, inaccessible, source de toute révélation, éternel, omniscient, omniprésent et tout puissant »[16] et s’articule autour de la notion de trois unités, à savoir celles de Dieu, de la religion et de l’humanité. En raison de son inaccessibilité, Dieu se manifeste aux Hommes à travers des manifestations dénommées mazhar-é ilâhi : Adam, Zoroastre, Khrishna, Bouddha, Abraham, Moïse, Jésus et Mohammad, venus apporter des révélations qui à chaque fois se complètent selon une période cyclique. L’âme se doit de reconnaître Dieu à travers ses manifestations et de se rapprocher de lui par la charité et la prière, son développement spirituel la guidant vers l’enfer ou le paradis qui s’avèrent pour la foi bahâ’ie des états spirituels plus ou moins éloignés de Dieu.

*

Il est enfin une dernière religion dont nous nous devions de présenter les contours : il s’agit du mandéisme. D’un premier abord proche du christianisme, elle n’en demeure en réalité pas moins une spiritualité à part entière. Le mandéisme regroupe des disciples de Saint Jean Baptiste, présents sur les rives du Tigre et de l’Euphrate en Irak et du Kâroun en Iran, ainsi que le Jourdain en Jordanie. Les mandéens sont estimés à 70 000 personnes au total, dont 25 000 en Iran, vivant principalement dans la région du Khouzestân.[17] Beaucoup ont quitté l’Irak après l’invasion américaine de 2003 pour se réfugier en Iran, en Syrie, en Jordanie ou bien encore en Occident ; selon la chercheuse Claire Lefort, en 2018, il ne subsiste en Irak plus que 300 familles, les autres ayant migré vers les camps de migrants jordanien, syrien et libanais, ou bien vers la Turquie, l’Australie, la Suède ou la France.[18] Les conséquences de cet exil sont dramatiques puisque beaucoup des réfugiés abandonnent leur religion, qui plus est les officiants détenteur de la connaissance de la langue araméenne se raréfiant, leur formation s’avérant longue et soutenue.

Les mandéens détiennent un livre saint, le genzâ rabbâ (signifiant « le Trésor »), écrit vers le 7ème ou 8ème siècle. Il se divise en deux parties : le genzâ yeminâ (« genzâ de droite ») et genzâ smâlâ (« genzâ de gauche »), ce dernier témoignant d’une chaîne ininterrompue de copiste depuis la fin du 2ème siècle ou le début du 3ème siècle, constituant en cela un élément plus qu’exceptionnel pour des textes de tradition. Autre texte de référence qui nous soit parvenu, la légende de Harrân Gâweta (baptisée aussi « rouleau de la grande révélation ») témoigne de l’existence des mandéens dans l’empire parthe, corroborant ainsi leur texte saint. Ils quittèrent la Palestine après la destruction de Jérusalem survenue en 153 pour gagner l’empire parthe, s’installant dès lors en Iran ; certains mandéens vont d’ailleurs considérer la période sassanide (224-651) succédant à la période parthe (190 avant Jésus-Christ – 224 après Jésus-Christ) comme la dernière représentation vivante de la foi gnostique. Rappelons que la gnose désigne la « Connaissance se présentant non comme un savoir acquis, mais comme une intuition salvatrice, une révélation intérieure, reposant sur le dualisme de la connaissance et de l’ignorance, du bien et du mal, de l’esprit et du corps, et se fondant sur l’idée que le monde sensible est dominé par des puissances mauvaises, hostiles au Dieu transcendant, source du monde spirituel que le gnostique cherche à connaître. »[19]

Bien que la cosmogonie mandéenne ne soit pas clairement définie en raison de l’existence de plusieurs récits, une synthèse peut toutefois en être dégagée : Dieu, que les mandéens nomment Hayyi Rabbi, signifiant la « grande Vie » ou le « grand Dieu vivant », est éternel et créateur du monde. De sa lumière se manifestent des uthras, des entités comparables aux anges chargés de Le louer et L’honorer. Leurs rôles sont divers : Manda d-Hayyi apporta sur Terre le manda, c’est-à-dire la connaissance de la gnose, Hibil Ziwa conquit le monde des Ténèbres, tandis que d’autres s’avèrent dépasser cette position en devenant des entités pourvues d’un rôle démiurgique ; Abathur (la « Troisième Vie ») dont le rôle sera de juger les âmes, Yushamin (la « Seconde Vie »), sévèrement puni par Dieu pour avoir voulu créer son propre monde, s’opposant subséquemment à Lui, et Ptahil, émanation des ténèbres qui corrompit les autres êtres spirituels et créa avec l’aide du mauvais esprit Ruha notre monde terrestre, mélange à la fois d’obscurité et de lumière. Cette vision dualiste semblables à d’autres religions iraniennes telles que le zoroastrisme, le manichéisme ou bien encore le mazdakisme voient donc deux mondes s’affronter, l’esprit et la matière luttant l’un contre l’autre depuis le création, l’esprit souhaitant retourner à sa source qu’est la lumière et quitter le monde terrestre considéré comme le monde du chaos.

Hayyi Rabbi, Dieu, est symbolisé par l’Eau vive ; les mandéens vivent conséquemment près des cours d’eau comme les fleuves ou les rivières, mais jamais des eaux stagnantes puisque Dieu est une force vive et créatrice, donc intrinsèquement vivante et en mouvement. C’est aussi dans l’eau qu’ils pratiquent leur office hebdomadaire et leur cérémonie de baptême qui demeurent inchangée depuis son origine, Jésus-Christ ayant reçu la même que reçoivent encore aujourd’hui les mandéens, de même que ces derniers maîtrisent toujours la langue araméenne.

Les mandéens débutent leur nouvelle année en célébrant la naissance de Jean lors de la fête de e’tikaf à la fin du mois de juillet, suivi de la célébration de dahwa raba, correspondant au temps de la création d’Adam, ce prophète étant considéré par les mandéens comme leur ascendant originel, faisant de leur foi le premier véritable monothéisme. Ils considèrent Jésus comme un faux prophète, de même qu’Abraham, Moïse et Mohammad et interdisent formellement la circoncision puisque le corps est considéré comme une perfection en raison de sa création par Dieu (c’est notamment pour cette raison qu’Abraham est rejeté puisque premier circoncis). Autre différence avec le christianisme, Jean fut marié et père de famille conformément à l’injonction que Dieu lui fit.

Le symbole du mandéisme résume bien sa situation par rapport au christianisme : ressemblant au premier abord à une croix, il s’avère fort différent, de même que l’est le mandéisme qui ne peut être classé comme une branche de la foi chrétienne. Le drabsha (signifiant en araméen « grande bannière »), ou la darfash en arabe, symbolisant la Lumière, est constituée de deux branches d’oliviers reliées entre elles par une corde et un tissu tous deux de couleur blanche, dont les pointes indiquent les points cardinaux, et au sommet duquel se trouve une feuille de jasmin. Symbole de la Lumière disions-nous, répondant à l’âme immortelle qui se soucie constamment de sa prochaine existence menacée d’une récompense ou d’un châtiment, mais d’un châtiment qui ne sera pour la foi mandéenne jamais éternel en raison de la miséricorde divine.

Conclusion

À la vue de cet Orient multiple dans sa foi et devant tant d’expressions de l’amour pour Dieu, le cheminement de l’Âme vers la rencontre avec son créateur peut sembler fort compliqué et pousser à rester coi ou s’égarer dans l’infini. Il n’en est rien. Déjà en son 12ème siècle, le mystique iranien Rouzbehân (1128-1209) nous enseigna ce qu’est le cheminement immuable de l’Âme : « Tantôt elle est dans les pleurs, tantôt elle est dans les rires ; tantôt ardente de feu, tantôt vibrante de musique ; tantôt la substance même de l’argile humaine est consumée par le feu de l’amour, et tantôt le luth de la prééternité accompagne la psalmodie. Tantôt dans l’ivresse mentale, tantôt dans la lucidité, tantôt abolie à soi-même. Tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’exultation ; tantôt dans la crainte, tantôt dans l’espoir ; tantôt dans la séparation, tantôt dans la réunion. Pas d’étape où faire halte, quand elle est séparée ; pas même de séjour à demeure, lors de la réunion. Voilà ce qui est exigé d’un Fidèle d’amour que Dieu mène en ce monde par les degrés de l’amour humain à l’ascension de l’amour divin ; parce que dans le jardin de l’amour, il ne s’agit que d’un seul et même amour, et parce que c’est dans le livre de l’amour humain qu’il faut apprendre à lire la règle de l’amour divin. »[20] Le Ier Imâm ‘Ali nous aurait répondu « Les gens sont soit tes frères en religion, soit tes frères en humanité ».[21]

La répartition des différentes communautés religieuses

Au Liban

Le Liban se compose de 18 communautés religieuses : 5 musulmanes (shî’ites, sunnites, druzes, ismaéliens et alaouites) et 13 chrétiennes, dont 7 catholiques et 6 non catholiques.

  • Catholiques : maronites, grecs catholiques, arméniens catholiques, syriaques catholiques, latins, chaldéens et coptes
  • Non catholiques : grecs orthodoxes, arméniens orthodoxes, syriaques monophysites, assyriens, protestants et coptes orthodoxes

Les musulmans représentent environ 60% et les chrétiens 40% . Cependant, ces chiffres s’avèrent approximatifs en raison de l’absence de recensement officiel de l’État depuis 1932.

En Israël

Israël se compose de Juifs (ashkénazes et séfarades), de juifs éthiopiens, de druzes, de chrétiens, de musulmans et de bahâ’is.

En Jordanie

La Jordanie compte 97% de musulmans, 2,2% de chrétiens (50% sont des grecs orthodoxes, l’une des plus anciennes communautés chrétiennes se trouvant en Jordanie), ainsi que quelques Shî’ites, pour la plupart des réfugiés irakiens et libanais, et près de 30 000 druzes dans le nord du pays.

En Syrie

La Syrie de compose de musulmans. 16% sont shî’ites dont 11% alaouites et 1,5% ismaéliens. 5 à 7 % de la population est chrétienne. Celle-ci s’élevait à 12% en 1920 sur une population totale de 1,5 millions d’habitants.

En Irak

L’Irak compte 95% de musulmans, 1,25% de chrétiens (chaldéens, assyriens ou nestoriens, syriaques occidentaux ou jacobite et orthodoxes orientaux), 1,25% de yézidis, le reste se composant de zoroastriens, de yârsânistes et de mandéens. Il est à noter qu’aucun recensement n’a été effectué depuis 1987.

Les juifs sont également présents dans chacun de ces pays mais un très petit nombre, l’absence de statistiques rendant difficile toute mesure. À noter que la deuxième plus grosse communauté juive du Moyen-Orient se trouve en Iran.


[1]La Voie vers le Divin – Initiation au vocabulaire spirituel en philosophie occidentale, L’Harmattan, 2021, pp. 13-17.

[2] Michel Abitbol, Judaïsme, in Bibliothèque d’Orient, BNF (https://heritage.bnf.fr/bibliothequesorient/fr/judaisme-article).

[3]Op. cit.

[4]Les peuples en cartes, Le Monde – La vie, Hors-série, janvier 2022, p. 64.

[5] Christian Cannuyer, Christianisme, in Bibliothèque d’Orient, BNF (https://heritage.bnf.fr/bibliothequesorient/fr/christianisme-art).

[6]Op. cit.

[7]Op. cit.

[8]Op. cit.

[9]Op. cit.

[10] Gaston Wiet, Grandeur de l’Islam, éd. Kontre Kulture, 2014, p. 68.

[11] Dominique Sourdel, L’Islam, PUF, col. Que sais-je ?, 1979, pp. 75-76.

[12] Henry Corbin, En Islam iranien. Aspects spirituels et philosophiques, tome I : Le Shî’isme duodécimain, Gallimard, col. Tel, 1991, p. 290.

[13] Mohammad Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet, Qu’est-ce que le Shî’isme ?, Éditions du Cerf, 2014, pp. 66-68.

[14]Op. cit. pp. 66-67.

[15] Émile Bouvier, Le « Peuple de la Vérité » : entre islam chiite, zoroastrisme, culte de Mihtra et christianisme, qui sont les Yârsâns (1/3) ? Présentation ethno-géographique et spirituelle du yârsânisme, Les clés du Moyen-Orient, 4 juin 2021 (https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Peuple-de-la-Verite-entre-islam-chiite-zoroastrisme-culte-de-Mihtra-et.html).

[16] Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous (« God Passes By »), Bruxelles, Maison d’éditions bahá’íes, 1976.

[17]Mandâi-iân, yektâparastâni kamtar shénâkhaté shodé va peyrovân-é yeki âz qadimitarin-é adyân-é djahân (« Les mandéens, monothéistes moins connus et adeptes de l’une des plus anciennes religions du monde »), Euronews, 25 décembre 2018 (https://per.euronews.com/2018/12/25/mandaeism-religion-prophet-john-the-baptist-oldest-monotheism-in-the-world-christians).

[18] Robin Verner, La religion mandéenne, l’un des plus vieux monothéismes du monde et le plus méconnu, BFM TV, 25 décembre 2018 (https://www.bfmtv.com/societe/religions/la-religion-mandeenne-l-un-des-plus-vieux-monotheismes-du-monde-et-le-plus-meconnu_AN-201812250015.html).

[19] Définition de Gnose, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), (https://www.cnrtl.fr/definition/gnose).

[20] Rûzbehan, Le jasmin des fidèles d’amour, traduit du persan par Henry Corbin, Verdier, 1991, pp. 155-156.

[21] Lettre du Ier Imâm ‘Ali au gouverneur d’Égypte Mâlik al-Ashtar (657).

Catégories
Art et Littérature

Poésie et nuit persane, une rencontre avec l’âme de l’Iran

Poésie et nuit persane est une merveilleuse émission radiophonique consacrée à la poésie en Iran. Réalisée par Manou Farine et François Caunac, celle-ci est diffusée sur France Culture le 3 novembre 2017.

Cette vidéo fut censurée deux fois par YouTube.

Les invités de cette émission exceptionnelle s’avèrent des figures respectées dans le domaine de l’art et de la littérature. Mahmoud Chokrollahi, écrivain et cinéaste, nous transporte avec sa poésie profonde et évocatrice. Daryush Shayegan, écrivain, philosophe et poète, nous guide à travers son analyse magistrale de l’âme poétique iranienne. Enfin, Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur, nous offre sa vision unique qui allie mots et images.

La poésie persane ou l’âme de l’Iran

Mahmoud Chokrollahi, comme Atiq Rahimi, est un artiste qui navigue entre l’image et l’écrit, entre le cinéma et la littérature. Tous deux partagent la langue maternelle persane. Cependant, leurs origines les mènent à travers différentes contrées : l’Iran pour l’un et l’Afghanistan pour l’autre. Ils sont tous les deux imprégnés de poésie, celle qui traverse l’œuvre d’Atiq Rahimi. Dans ce texte, Atiq Rahimi, muni de son calame, ce roseau par lequel les lettres prennent forme, plonge dans ses souvenirs. Ses calligraphies illuminent les écrits de poètes tels que Rumi et Hafez, deux des cinq grands maîtres iraniens.

Poésie et nuit persane Iran

Ces cinq poètes, Ferdowsi, Khayyam, Rumi, Sadi et Hafez, sont omniprésents dans la conscience de l’Iran. Ils imprègnent son âme de manière profonde, comme l’écrit Daryush Shayegan dans son livre à succès L’âme poétique persane. Dans cet ouvrage, le philosophe explore la phénoménologie de la conscience iranienne à travers sa relation avec ces poètes exceptionnels.

Poésie et nuit persane est avant tout l’occasion une rencontre unique entre des esprits créatifs, où la poésie se mêlera à la musique et aux mots pour révéler l’univers envoûtant de l’Iran. Elle offre enfin l’opportunité de voyager à travers les émotions et les pensées des Iraniens, en plongeant dans leur héritage littéraire et artistique d’une beauté inégalée.

Catégories
Bibliotheca iranicaReligion et Spiritualité

L’Archange empourpré de Sohravardi, par Henry Corbin

L’Archange empourpré est l’un des quinze traités et récits mystiques de Sohravardi qui compose la merveilleuse somme traduite par Henry Corbin.

Pendant longtemps, l’Occident a simplifié la perception de l’Iran en le divisant entre l’Iran antique préislamique et l’Iran post-islamique. L’œuvre de Sohravardî témoigne du fait que l’univers spirituel iranien est cohérent et que l’Islam ne bouleversa aucunement l’imaginal iranien. La Perse islamique ne doit pas être considérée comme une simple province de l’expansion arabe. Cela aussi bien sur le plan ethnique qu’intellectuel et spirituel.

Henry Corbin Sohravardi L'Archange empourpré

Dans cet ouvrage, Henry Corbin explore la signification et l’importance de l’Archange empourpré dans la philosophie de Sohravardi. Cela tout d’abord pour comprendre la vision de ce mystique persan du XIIème siècle. Ensuite, son travail restitue une part inconnue du patrimoine spirituel de l’humanité. Et notamment pour un public occidental encore trop ignorant de ce que put être la spiritualité et la philosophie islamique.

L’Archange empourpré incarne à la fois une figure angélique, un guide spirituel et le symbole d’une quête intérieure. Sohravardi cherche à transmettre à travers ses enseignements et ses écrits les profondeurs de la spiritualité et de la métamorphose intérieure conduisant à l’illumination de l’âme.

Sohravardî, le « shaykh de l’illumination »

Sohravardî, qui mourut en martyr en 1191, est l’un des plus grands mystiques de l’Islam. Les textes présentés ici mettent en avant sa volonté délibérée de faire revivre la philosophie de la lumière proposée par les sages de l’ancienne Perse. Il se veut un philosophe dont l’âme embrasse toutes les puissances nécessaires pour transmettre sa vision du monde.

Sa doctrine considère comme indissociables la recherche philosophique de la Connaissance et son application pratique pour la transformation intérieure de l’Homme. La Connaissance dont il est question n’est pas théorique, mais salvatrice par essence. Elle rejoint conséquemment la signification originelle du terme de gnose.

Sohravardî révèle l’unité de l’univers spirituel iranien et redonne à la Perse islamique sa pleine légitimité dans le paysage spirituel et philosophique.

Henry Corbin présente l’Archange empourpré de Sohravardi

L’Archange empourpré représente l’ange, le guide surnaturel et l’initiateur personnel du pèlerin. On le retrouve à la fois dans les traités doctrinaux et les récits mystiques qui composent ce corpus. Ils s’entrelacent de manière complémentaire, ainsi que le démontre la lecture approfondie d’Henry Corbin qui les accompagne.

La voie spirituelle tracée par Sohravardî continue d’avoir un impact en Iran. Henry Corbin, en tant qu’interprète de cette philosophie, est convaincu que son sens et son importance dépassent son contexte d’origine. En effet, l’œuvre sohravardienne représente une forme d’aventure spirituelle qui mérite une réflexion particulière de nos jours.

Catégories
Bibliotheca iranicaHistoireReligion et SpiritualitéSociété

Histoire de la philosophie islamique, par Henry Corbin

Histoire de la philosophie islamique est certainement l’un des livres les plus essentiels de l’œuvre d’Henry Corbin.

La philosophie en terre d’Islam est souvent associée à la simple transmission de l’héritage des Grecs. Cependant, son rôle dans l’histoire ne se limite pas à cela. De nombreuses figures importantes ont contribué à l’émergence d’une riche métaphysique au sein de cette tradition. Celle-ci perdure encore aujourd’hui. C’est ce que démontre notamment l’ouvrage Histoire de la philosophie islamique d’Henry Corbin, qui va bien au-delà de la simple chronologie des moments marquants de cette longue histoire.

Henry Corbin Histoire de la philosophie islamique

En effet, Corbin suit un fil conducteur bien précis : celui de l’herméneutique. Il explore comment, depuis les Ismaéliens jusqu’aux grands noms de la philosophie en terre d’Islam tels qu’Avicenne, Sohravardî ou encore Ibn Arabî, s’est développée une exégèse du Livre saint qui a permis l’émergence d’une véritable philosophie prophétique. Ce faisant, il montre que la pensée en terre d’Islam ne se réduit pas à une simple reproduction de la philosophie grecque. Mais que cette dernière s’est fondée sur un travail de réinterprétation et d’adaptation du message divin aux contextes et aux préoccupations de chaque époque.

La philosophie islamique, son histoire et ses facettes

Cette réflexion est particulièrement importante aujourd’hui, alors que les à priori entre les cultures occidentale et islamique sont souvent exacerbées. En effet, la mise en lumière de cette tradition philosophique permet de souligner les nombreuses convergences entre ces deux cultures. Elles ont toutes deux développé des pensées spirituelles riches et complexes en réponse aux grandes questions de l’existence.

Cette philosophie en terre d’Islam offre ainsi une alternative intéressante aux conceptions philosophiques occidentales. Ces dernières eurent tendance à s’imposer comme un modèle universellement valable. Il convient donc, comme le souligne Corbin, que ces pensées ne restent pas inconnues du public occidental.

En effet, elles méritent d’être reconnues pour leur valeur intrinsèque. Mais également pour leur capacité à élargir notre horizon philosophique. La philosophie islamique nous invite à repenser nos questionnements à la lumière de sa tradition riche et complexe. La philosophie en terre d’Islam représente ainsi un exemple éloquent de la richesse et de la diversité de la pensée humaine.

Catégories
Bibliotheca iranicaReligion et Spiritualité

Qu’est-ce que le Shî’isme ?, par M. A. Amir-Moezzi et C. Jambet

Qu’est-ce que le Shî’ismeest un livre incontournable pour l’étude de cette spiritualité, écrit par les deux plus grands spécialistes de cette religion, Messieurs Mohammad Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet.

Le Shî’isme, une religion méconnue

Dans la région cruciale de l’Asie du sud-ouest, les Chiites demeurent une communauté méconnue en Occident. De même, leur spiritualité et leur philosophie demeurent bien souvent absentes des manuels d’islamologie, en dépit du travail salutaire d’Henry Corbin.

Qu'est-ce que le Shî'isme ? Mohammad Ali Amir-Moezzi Christian Jambet.

Connu comme la religion de l’Iran, le Chiisme est pourtant également présent en Irak, en Syrie, au Liban, en Azerbaïdjan et, dans une moindre mesure, en Afghanistan, au Pakistan et à Bahreïn.

Souvent amalgamés avec les intégristes sunnites, voire avec les partisans du wahhabisme militant (pourtant leurs opposants les plus farouches), les Chiites subissent les conséquences dévastatrices des stéréotypes véhiculés par certains courants les dépeignant comme des oppresseurs des femmes, intolérants sur le plan religieux, obscurantistes et totalitaires. La réalité est totalement différentes et nous pouvons même dire qu’elle s’avère l’exact inverse.

Mohammad Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet présentent le Shî’isme

Cet ouvrage se destine à un public désireux de savoir autant qu’érudit. Il a pour vocation de rassembler et de présenter les connaissances essentielles sur le Chiisme. Il propose également une analyse des processus ayant amené une religion essentiellement ésotérique et mystique à se transformer en une théologie politique.

En refermant ce livre, le lecteur connaîtra les fondements doctrinaux du Chiisme, la lignée de ses maîtres (à commencer par le Ier Imâm Ali, le gendre du prophète Mohammad), ses sources (le Coran et les hadîth), son évolution historique et enfin sa philosophie.

Rédigé avec une finesse et une érudition avérée, cet ouvrage vise à lever le voile sur une tradition religieuse souvent mal comprise. Il offre ainsi une perspective nuancée et approfondie sur les Chiites et leur héritage théologique qui enrichira l’âme de ses lecteurs.

Catégories
HistoireSociété

Le drapeau de l’Iran : histoire et significations

Le drapeau de la République islamique d’Iran fut officiellement adopté le 29 juillet 1980 pour devenir le nouvel étendard du pays après la révolution qui vit changer ses institutions politiques.

drapeau République islamique d'Iran
Drapeau de la République islamique d’Iran (depuis 1980)

Force est de constater que le drapeau iranien regorge de symboles et de significations importantes, représentant la foi, l’histoire et le patriotisme du peuple iranien. Cette symbolique du drapeau iranien demeure totalement inconnue des Occidentaux.

Le drapeau avec le lion et le soleil, symboles de l’Iran

Le Lion et le Soleil sont des symboles nationaux de l’Iran depuis fort longtemps. Ceux-ci représenteraient un mélange des anciennes cultures de la Mésopotamie et de la Perse. Ce symbole sera utilisé sur les drapeaux iraniens à partir du XVème siècle sans interruption jusqu’en 1979.

Le soleil est un symbole profondément enraciné dans les croyances des anciens Iraniens. Durant l’époque préislamique, il symbolisait Mithra. Les Parthe arboraient également l’image du soleil, tandis que celui-ci ornait le sommet de la couronne des rois sassanides.

Drapeau de l’État impérial d’Iran (1964-1979)

Le lion est pour sa part étroitement lié à la monarchie en Iran. Les trônes et les habits des rois achéménides étaient notamment ornés de rangées de lions, de même que la couronne d’Antiochos Ier, roi de Commagène d’origine iranienne, et l’armure portée par Ardashir Ier lors de la cérémonie de l’effusion de Rostam.

Chaque dynastie iranienne interpréta ce symbole de manière différente. Il s’agissait à l’origine d’un simple signe astrologique et non d’un symbole gouvernemental. Sous la dynastie safavide, ce symbole fut interprété de manière à la fois chiite et iranienne. À partir du règne d’Agha Mohammad Khân Zâdeh Qadjar, en parallèle avec les changements intellectuels et sociaux de cette période, l’interprétation chiite de ce symbole perdit progressivement de son importance.

Les couleurs du drapeau iranien

Le drapeau iranien se compose de trois bandes horizontales. La bande supérieure est de couleur verte, symbolisant l’Islam. La bande du milieu est blanche, représentant la paix. Enfin, la bande inférieure est rouge, symbolisant le courage.

drapeau Iran Gouvernement provisoire 1979-1980
Drapeau du Gouvernement provisoire d’Iran (1979-1980)

Ces couleurs seront celles du Gouvernement provisoire en fonction de février 1979 jusqu’à l’élection du premier président de la République islamique d’Iran en février 1980.

La République islamique va conserver ce modèle pour son drapeau, en lui ajoutant toutefois certaines modifications. Notamment l’inscription الله اکبر (« Dieu est le plus grand »), écrite en coufique onze fois sur chaque bande. Cette répétition symbolise la date du 22 bahman, soit le 11 février, jour de la victoire de la Révolution iranienne.

La tulipe, symbole de l’Iran

Au centre du drapeau se trouve un emblème créé par Hamid Nadimi (حمید ندیمی) et approuvé par l’ayatollah Khomeyni le 9 mai 1980.

tulipe République islamique d'Iran

Il représente au premier abord le mot الله (« Dieu »), stylisé sous la forme d’une tulipe rouge. Dans la mythologie iranienne, cette fleur pousse sur la tombe des combattant morts en défendant l’Iran et symbolise ainsi le martyre.

Toutefois, cette tulipe s’avère une composition artistiquement stylisée comprenant plusieurs symboles. Elle représente également l’expression islamique لا اله الا الله (« Il n’y a de dieu que Dieu »), dénommée توحید (tawhid) et affirmant le caractère monothéiste de l’Islam.

tulipe symbole République islamique Iran

Les quatre croissants sont lus de droite à gauche, chacun représentant une lettre. Le premier croissant est la lettre alif, le deuxième le premier lam et les troisième et quatrième croissants forment ensemble le heh. Une ligne verticale indique le second lam mais représente aussi une épée. Au-dessus de celle-ci, un tashdid est présent (cette marque diacritique ressemblant à un w indique une gémination).

Les quatre croissants et l’épée présents dans l’emblème font référence aux cinq principes de la religion chiite. L’épée, pilier central de ce symbole, représente également la résilience et l’endurance. La symétrie parfaite de cette forme symbolise aussi l’existence d’un équilibre dans l’univers.

Catégories
Bibliotheca iranica

Le guide touristique idéal pour découvrir l’Iran

Iran – De la Perse ancienne à l’Etat moderne est un guide touristique idéal pour découvrir l’Iran. Helen Loveday et Frédéric Garouste signent un livre richement illustré par les photographies de Jacqueline Mirsadeghi. Preuve de son succès, ce livre publié en 2019 par l’éditeur suisse Olizane en est déjà à sa dixième édition !

Iran - De la Perse ancienne à l'Etat moderne un guide touristique pour découvrir l'Iran
Couverture de la 10ème édition

Au carrefour entre l’Asie et l’Europe méditerranéenne se situe l’Iran, un pays doté d’un riche héritage archéologique et culturel. Sur une période de plus de cinq millénaires, l’Iran fut le théâtre de rencontres entre diverses civilisations et cultures. Devenu le centre du premier grand empire mondial sous Cyrus, la Perse sera successivement envahie par les Grecs, les Arabes, les Mongols et les Turcs. Malgré ces influences étrangères, l’Iran a su préserver sa langue, son identité et son originalité. Les Iraniens surent assimiler à chaque fois les envahisseurs tout en leur apportant une richesse philosophique, artistique, scientifique et religieuse d’une qualité inégalée.

Cependant, l’Iran ne se limite pas à son passé glorieux. Après une révolution et une décennie de guerre, cette république islamique chiite est désormais considérée comme l’une des grandes puissances régionales. Ce guide touristique sur l’Iran offre aux voyageurs une approche des complexités culturelles et historiques de l’Iran. Mais également une meilleure compréhension de ses développements récents. En plus des informations pratiques pour la préparation du voyage et des multiples plans de sites et de villes, les lecteurs pourront découvrir des extraits littéraires et des textes approfondis sur des sujets spécifiques comme l’architecture, la calligraphie islamique ou la poésie iranienne.

Découvrir l’Iran, sa culture et sa beauté, à l’occasion d’un voyage touristique

Ne manquez pas l’occasion de découvrir la beauté de l’Iran, sa population accueillante et ses espaces naturels fascinants. Le pays dispose d’une histoire glorieuse de plus de 7000 ans. Pas moins de 17 sites classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO en attestent de manière spectaculaire. Cependant, au-delà de la majesté de ses paysages grandioses et de la richesse de son patrimoine architectural, artistique et culturel, vous découvrirez facilement la chaleur et l’hospitalité de ses habitants. Les portes et les cœurs de ces derniers s’ouvriront sans difficulté à vous.

Catégories
Bibliotheca iranica

Iran le mensonge, par Gilles Lanneau

Iran, le mensonge, écrit par Monsieur Gilles Lanneau, est un livre rare. Paru en avril 2010 chez Diffusion international Édition, dans sa collection Vérité, ce livre est censuré en France. Et l’on comprend très rapidement pourquoi son travail salutaire dérange tant : sa recherche factuelle et scientifique brise la propagande et la manipulation contre l’Iran.

Iran, le mensonge - Gilles Lanneau

Qui plus est, ce livre s’accompagne d’un cédérom sur lequel figure un film documentaire. Car Monsieur Lanneau, honnête et professionnel, joint les preuves vidéographiques à ses écrits. Ce film documentaire fut à plusieurs reprises censuré par la plateforme YouTube.

Iran, le mensonge

« J’ai écrit ce livre dans l’urgence. Quelques minutes avant l’irréparable. En ce temps où notre monde bascule à toute allure dans un gouffre de non-sens, d’absurdité, où le mal se prend pour le bien et fait porter à celui-ci ses propres tares, j’ose élever une petite voix à contresens. Au tribunal de ce monde aux valeurs inversées, je plaide la cause de l’Axe du Mal, et accuse l’Axe du Bien.

Un pavé dans la mare bien pensante des médias.

Salutaire ! Qu’il s’agisse du nucléaire, de la condition féminine, du sort des minorités, de l’économie… A chaque fois nous sautent au visage le mensonge et l’injustice. Tous les moyens sont bons pour qu’apparaisse un Iran néfaste et diabolique contre lequel une guerre serait la seule issue possible. Le point d’orgue étant le commentaire honteux des dernières élections et de la tentative de coup d’état qui s’en suivit. Le lecteur jugera d’après les contre-enquêtes, les témoignages et les chiffres apportés dans ce livre. Il constatera ce qu’il en est réellement de la politique iranienne. De sa vision socialisante et participative. De son engagement auprès d’autres pays non-alignés afin de faire de l’homme un but, et non une machine à produire.

Puisse ce livre apporter quelques lumières de vérité dans un procès truqué d’avance. Et servir la cause de la Paix. »

Quatrième de couverture

C’est d’ailleurs « à la Vérité » que Monsieur Gilles Lanneau dédie son livre. La liste des remerciements énumère de nombreuses Iraniennes et de nombreux Iraniens. On saisit immédiatement que Monsieur Lanneau n’est pas un touriste mais bien un voyageur en quête de sens et d’humanité, assoiffé de vérité et de réalité. C’est un homme de terrain, objectif et engagé dans la défense de la vérité. Un homme qui refuse les mensonges et le prêt-à-penser. Son livre est une nécessité, autant que le témoignage qu’il existe encore des chercheurs impartiaux et justes, motivés par le savoir et la connaissance.

« Je livre dans cet ouvrage le fruit de mes rencontres, de mes contacts, mes ressentis dans ce pays haï des Grands. De ceux qui se croient grands. »

Avant-propos, p. 11.

Nous sommes heureux de pouvoir partager avec nos lecteurs ce film documentaire.

Gilles Lanneau, auteur de Iran, le mensonge

Gilles Lanneau est né le 2 février 1949 à Reims. Il exerce la profession de paysagiste, puis crée une structure d’accueil axée sur le bio et l’éthique de vie. En parallèle, il voyage en Iran, en Inde et au Pakistan dans le cadre de recherches sur la naissance des grands mythes fondateurs de la culture indo-européenne et sur la survivance dans ces régions reculées de traditions s’y rapportant.

Gilles Lanneau

Il est également l’auteur de Trente oiseaux face au soleil (Les 3 Orangers, 2005), Racine, un voyage vers l’Infini (Les 3 Orangers, 2009) et Mehr. Ce Dieu qui ressemblait au Christ (Les Deux Océans, 2017).

Catégories
Histoire

Le vol Iran Air 655, un avion civil iranien abattu par les États-Unis

Le 3 juillet 1988, le bâtiment de la marine étasunienne USS Vincennes abattait le vol civil Iran Air 655 dans le golfe Persique. Les 290 personnes présentes à bord, dont 66 enfants, furent tuées.

vol Iran Air 655 timbre commémoration
Timbre iranien émis le 11 août 1988.

Le vol Iran Air 655 du 3 juillet 1988

Alors que l’Iran fait face à huit années de guerre consécutives imposées par l’Irak, les États-Unis ne manquent pas de mener des hostilités contre l’Iran (cf. Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique pour la liste détaillée).

Parti de Téhéran, le vol commercial Irân Air 655 assurait ce dimanche 3 juillet 1988 la liaison avec Dubaï via une escale à Bandar Abbas. Alors qu’il survole le détroit d’Hormuz, la frégate américaine USS Vincennes tire plusieurs missiles sur l’aéronef.

Source : 36e anniversaire de l’attaque meurtrière des États-Unis contre un avion de ligne iranien (presstv.ir) Mise à jour du 3 juillet 2024.

Au total, 290 personnes trouvent la mort. 254 Iraniens (dont 16 membres d’équipage), 13 Émiratis, 10 Hindous, 6 Pakistanais, 6 Yougoslaves et 1 Italien. Parmi les victimes figurent 66 enfants.

La récupération des corps et des débris nécessitera 80 plongeurs, quatre navires et quatre hélicoptères travaillant sans interruption pendant 52 jours. Cette opération s’avéra particulièrement compliquée en raison des températures avoisinant les 50°C. La récupération des corps fut elle aussi une opération fort complexe. En effet, du fait de leur immersion prolongée, les morceaux devenus enflés ne rentraient guère dans les cercueils et les plongeurs furent alors contraints d’utiliser des civières en filet pour les remonter. Seuls 178 corps sur les 290 purent finalement être retrouvés.

Une enquête édifiante démontre la responsabilité des États-Unis

Le rapport d’enquête publié par la marine étasunienne s’avère incomplet. En effet, celui-ci ne présente aucune carte renseignant la position de l’USS Vincennes. De plus, le vol étant civil, celui-ci n’avait aucun accès aux fréquences d’urgences militaires qu’utiliseront sept fois les Américains pour le contacter.

Enfin, ce rapport ne mentionne aucunement le code transpondeur et le couloir aérien emprunté qui aurait permis l’identification de l’appareil. En dépit d’un retard de 27 minutes sur son horaire prévu de décollage, l’Airbus A300B2 iranien figurait sur la liste des vols civils remise à l’US Navy.

En 1990, le lieutenant-colonel Roger Charles parvient à récupérer auprès de l’OIAC (Organisation Internationale de l’Aviation Civile) une copie complète du rapport d’enquête. Il s’avère que le commandant de la frégate a désobéi à un ordre direct de sa hiérarchie en poursuivant des vedettes iraniennes. Il viola ainsi délibérément l’espace aérien iranien en s’enfonçant de presque cinq kilomètres dans les eaux territoriales iraniennes, plaçant ainsi son bâtiment sur la trajectoire de l’avion.

Le déni américain

Bien entendu, les États-Unis nièrent leur responsabilité dans cette attaque volontaire à l’encontre de la population iranienne. Le président Ronald Reagan exprima ses « regrets » lorsque son vice-président George Bush déclare le 2 août 1988 lors d’un discours de campagne :

« Je ne présenterai jamais d’excuses au nom des États-Unis — Que m’importe les faits… Je ne suis pas de ces gens qui présentent des excuses au nom des États-Unis. »

Plus consternant encore, les États-Unis vont même récompenser les meurtriers. Le commandant reçut la Legion of Merit en 1990 pour son commandement de l’USS Vincennes. La « Légion du Mérite » récompense une « conduite exceptionnelle en période de guerre ». L’éloge du commandant ne mentionnera pas la destruction de l’avion civil iranien.

Le coordinateur de guerre aérienne, responsable du tir en affirmant que l’avion piquait sur le croiseur alors qu’il était en montée, reçut la Commendation Medal. La « Médaille de mention élogieuse » est décernée pour « actes d’héroïsme et services méritoires rendus ».

Enfin, l’ensemble de l’équipage recevra pour sa part la Combat Action Ribbon au nom de leur mission en zone de combat. Le « Ruban d’action au combat » récompense les marins de l’US Navypour leur « participation active à un combat en zone hostile en présence du feu ennemi ».

Des documents déclassifiés publiés en juillet 2022 révèlent comment le Royaume-Uni offrit son soutien immédiat aux États-Unis et les aida à dissimuler les faits :

« Washington a prétendu que la marine américaine avait agi en état de légitime défense, mais ce n’était pas vrai. L’avion n’avait pas, comme l’a affirmé le Pentagone, « quitté la route aérienne commerciale prescrite », ni « descendu » vers l’USS Vincennes à « grande vitesse ». […]

En particulier, Powell a rappelé qu’après que les États-Unis eurent abattu le vol 655, le secrétaire privé de Thatcher pour les affaires étrangères, Charles Powell, « avait immédiatement appelé de Downing Street pour demander ce que les Américains voulaient que le gouvernement britannique dise ». »

John McEvoy, Britan ‘immediately’ supported U.S. over shooting down of Iranian Airliner (« La Grande-Bretagne à « immédiatement » soutenu les États-Unis pour avoir abattu un avion de ligne iranien »), Declassified UK, 20 juillet 2022 (https://www.declassifieduk.org/britain-immediately-supported-us-over-shooting-down-of-iranian-airliner/).

La difficile justice pour les victimes du vol Iran Air 655

Les journalistes français Serge Halimi et Pierre Rimbert notent l’attitude de la presse américaine devant cette catastrophe. D’ordinaires si prompts à se martyriser, les États-Unis ne présentent aucune compassion et aucun respect lorsqu’il s’agit de peuples étrangers :

« Au cours des deux semaines suivant l’accident, la destruction du vol KAL 007 fait l’objet d’une couverture deux à trois fois plus importante que celle du vol Iran Air : 51 pages dans Time et Newsweek dans un cas, 20 dans l’autre ; 286 articles, contre 102, dans le New York Times. Après l’attaque soviétique, les couvertures des magazines américains rivalisent d’indignation : « Meurtre aérien. Un guet-apens impitoyable » (Newsweek, 13 septembre 1983) ; « Tirer pour tuer. Atrocité dans le ciel. Les Soviétiques descendent un avion civil » (Time, 13 septembre 1983) ; « Pourquoi Moscou l’a fait » (Newsweek, 19 septembre 1983). Mais, sitôt que le missile fatal porte la bannière étoilée, changement de ton : il n’est plus question d’atrocités et encore moins d’intentionnalité. Le registre bascule de l’actif au passif, comme si le massacre n’avait pas d’auteur : « Pourquoi c’est arrivé », titre Newsweek (18 juillet 1988). Time préfère même réserver sa couverture aux voyages spatiaux sur Mars et reléguer le drame aérien en pages intérieures, avec le titre : « Ce qui a mal tourné dans le Golfe ». Les qualificatifs les plus courants dans les articles du Washington Post et du New York Timessont, dans un cas, « brutal », « barbare », « délibéré », « criminel » et, dans l’autre, « par erreur », « tragique », « fatal », « compréhensible », « justifié ». Même le regard porté sur les victimes s’embue ou se durcit en fonction de l’identité de leur meurtrier. Doit-on préciser à ce stade à qui les journalistes américains réservent les termes « êtres humains innocents », « histoires personnelles poignantes », « personnes aimées » et ceux, plus sobres, de « passagers », « voyageurs » ou « personnes qui sont mortes » ? »

Serge Halimi et Pierre Rimbert, Si tu veux la guerre, prépare la guerre, Le Monde diplomatique, août 2019 (https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/HALIMI/60159).
Couvertures des 13 septembre 1983 et 18 juillet 1988 du magazine Newsweek.

L’Iran portera l’affaire devant la Cour internationale de justice en 1996 et les États-Unis accepteront de verser 131,8 millions de dollars de dédommagement. Cependant, les États-Unis n’ont jamais présenté d’excuses et continuent de nier leurs responsabilités.