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L’empire des Achéménides

La dynastie des Achéménides est à l’origine du premier empire iranien. Celui-ci régna sur une grande partie du monde connu au cours du premier millénaire avant Jésus-Christ.

Le terme « Achéménides » (en vieux perse : Haxāmanišiya) fait référence à la famille fondatrice qui se libéra de la domination des Mèdes, leurs anciens souverains, vers 550 avant Jésus-Christ.

Les Achéménides, fondateurs du premier empire iranien

Les Achéménides constituèrent un empire parmi les plus étendus de l’Antiquité. En effet, celui-ci couvrait près de 5,5 millions de kilomètres carrés durant son apogée.

L’empire des Achéménides s’étendait au nord et à l’ouest en Asie Mineure, en Thrace et dans la plupart des régions côtières de la mer Noire. À l’est jusqu’en Afghanistan et une partie du Pakistan actuels. Enfin, au sud et au sud-ouest de l’Irak actuel, de la Syrie, du Liban, d’Israël, de la Palestine, de la Jordanie, du nord de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et du nord de la Libye.

Étendard de Cyrus le Grand
Étendard de Cyrus le Grand

Les Achéménides conquirent l’Anatolie en défaisant les Lydiens, puis l’Empire néo-babylonien. Avec la conquête de l’Égypte, ils unirent les civilisations les plus anciennes de l’Asie occidentale au sein d’une seule entité politique durable.

L’Empire du Grand Roi, tout en étant respectueux des diversités ethniques et religieuses, s’organisait en satrapies dirigées par des Perses. Les satrapes rendaient compte directement à leur souverain. Avec le temps, les structures féodales de l’époque médique et du début de l’ère achéménide évoluèrent vers une monarchie administrative capable de percevoir régulièrement des tributs. Les langues principales utilisées dans l’empire étaient l’élamite, l’araméen et le vieux perse. La religion dominante était le mazdéisme, réformé par Zarathoustra.

Chronologie de l’Empire achéménide

Cyrus le Grand, fondateur de l’empire des Achéménides

De -558 à -530 :Règne de Cyrus II le Grand, fils de Cambyse et petit-fils d’Astyage, roi de Médie. Il parvint à unir les Perses et les Mèdes sous son autorité. Après avoir conquis Hyrcanie et Parthie, il bat son grand-père en -550, mettant ainsi fin à la puissance mède. Par la suite, Cyrus le Grand s’installa à Ecbatane, l’ancienne capitale mède, qui devint ainsi la capitale de l’Iran unifié au détriment de Pasargades.

-550 :Les Perses de Cyrus pillent la ville d’Ecbatane et emportent ses richesses jusqu’en terre d’Anzan, comme le rapportent les annales de Nabonide, le souverain babylonien. Cet événement marque la fin de l’Empire mède, qui avait néanmoins réalisé une première tentative d’unité politique en Iran.

empire des Achéménides Cyrus le Grand 550 avant Jésus-Christ
L’Empire des Achéménides en 550 avant Jésus-Christ, sous le règne de Cyrus le Grand.

-546 :Cyrus conquiert Sardes, la capitale de la Lydie. Le roi Crésus, célèbre pour sa richesse grâce aux paillettes d’or du fleuve Pactole, perd la vie durant cette bataille. La Lydie devient alors une satrapie, c’est-à-dire une subdivision administrative dirigée par un gouverneur iranien. Les cités grecques de la côte ionienne sont ensuite annexées et réparties entre la satrapie lydienne et une autre satrapie, connue sous le nom de « satrapie de la Mer » (correspondant à la mer Noire).

De -545 à -539 :Cyrus II le Grand mène une série de campagnes permettant l’expansion vers l’est du royaume. La Bactriane (actuelle région de Balkh), l’Arachosie (actuelle région de Kandahar, au sud de l’Afghanistan), la Margiane (actuelle région de Merv) et la Drangiane deviennent de nouvelles satrapies. Cyrus avance jusqu’à la rivière Iaxartes (le Syr Daria), constituant ainsi la limite nord-orientale de son empire. Les Iraniens érigent des forteresses pour contenir la pression des nomades d’Asie centrale. Par la suite, Cyrus se tourne vers l’ouest.

La puissance de l’empire achéménide

-539 :Cyrus s’empare de Babylone sans grande résistance de la part de son souverain, Nabonide. Le vainqueur se met sous la protection du dieu Mardûk. À la mort de Nabonide l’année suivante, Cyrus prend le titre de « roi de Babylone, roi des pays ».

Le souverain iranien ne cherche pas à imposer la religion mazdéenne aux Babyloniens et aux autres peuples. Il restitue même les statues des dieux emportées comme butin à Babylone au cours des décennies précédentes aux peuples étrangers. Cyrus fonde également les villes de Pasargades et Persépolis.

Le « cylindre de Cyrus » (منشور کوروش), datant de 539 avant Jésus-Christ. Il retranscrit une déclaration de Cyrus consécutive à la prise de Babylone. Ce vestige archéologique est conservé au British Museum de Londres, comme bon nombre de tablettes retenues en dehors d’Iran.

-537 :Cyrus autorise les Judéens déportés à Babylone à retourner en Palestine en emmenant avec eux les objets précieux arrachés du temple de Jérusalem. Cyrus décède en -530 au cours d’une campagne contre les nomades Massagètes qui menaçaient l’est de l’Empire.

En tant que fondateur de l’Empire iranien, il réussit à conquérir la Médie, la Lydie et la Babylonie. Il établit des capitales à Ecbatane, Suse, Babylone, ainsi qu’une résidence moins officielle à Pasargades. L’autorité de Cyrus semble largement acceptée, en particulier en Mésopotamie. En témoigne le texte de l’époque cité par Roman Girshman :

« Mardûk a visité tous les pays et a vu celui qu’il cherchait pour être un roi juste, un roi après son propre cœur, qu’il guiderait par la main. Il a prononcé son nom, Cyrus d’Anshan, et il a désigné son nom pour régner sur tout… ».

De -529 à -522 :Règne de Kambûjiya (Cambyse II), le fils aîné de Cyrus, qui avait été vice-roi de Babylone sous le règne de son père pendant huit ans. Celui-ci doit affirmer son propre pouvoir en ordonnant l’assassinat de son frère Bardiya, qui encourageait des révoltes dans les provinces orientales de l’empire. Cambyse se lance alors dans la conquête de l’Égypte, gouvernée par le pharaon Amasis.

Le règne de Cambyse et l’extension de l’Empire achéménide

Après avoir vaincu le pharaon avec l’aide de mercenaires grecs mais sans le soutien de son allié, le tyran Polycrate de Samos, il déporte à Suse Psammétique III, le fils et héritier d’Amasis. Trois garnisons s’avèrent suffisantes pour contrôler l’Égypte. Une expédition vers l’oasis d’Amon égarée dans le désert, ainsi que le refus des marins phéniciens de sa flotte de combattre cette cité punique sœur, poussent le souverain iranien à abandonner l’idée de soumettre Carthage. Les Grecs de Cyrène se soumettent à lui et une expédition en Nubie conduit à la création de la cité de Méroé.

-522 :Cambyse découvre que le mage Gaumata, qui ressemble étrangement à son frère, s’est fait passer pour Bardiya et autoproclamé roi pendant son absence. Le souverain disparaît dans des circonstances obscures en Syrie, probablement en se suicidant lors d’une crise de démence.

L’armée reste fidèle aux Achéménides et refuse de reconnaître l’autorité de l’usurpateur Gaumata. C’est alors que sept jeunes princes, tous prétendants au trône, décident de choisir l’un d’entre eux en utilisant l’hippomancie. Le cheval de Darius est le premier à hennir au lever du soleil, ce qui le désigne. Selon Hérodote, le palefrenier du jeune prince joua un rôle dans ce dénouement heureux : la veille, il aurait emmené le cheval de son jeune maître à l’endroit prévu pour le rituel, en veillant à y conduire également une jument.

Le règne de Darius, le rayonnement des Achéménides

De -521 à -486 :Dâryav (Darius Ier), fils de Hystaspe et gouverneur de la Perside au début du règne de Cyrus le Grand, monte sur le trône. Il consolide rapidement son autorité dans l’empire en éliminant neuf prétendants qui s’étaient rebellés contre lui. Il mène ensuite une campagne militaire jusqu’aux rives de l’Indus, qu’il fait descendre en utilisant une flotte dirigée par le Grec Scylax de Caryande. En Égypte, il entreprend les travaux nécessaires pour rétablir la navigation sur le canal créé entre le Nil et la mer Rouge par le pharaon Néchao.

-516 :Darius est le premier à ordonner la frappe de pièces d’or appelées « dariques », inspirées des monnaies introduites originellement en Lydie et en Ionie.

nécropole achéménide de Naqsh-é Rostam et Ka'ba de Zoroastre
Le site archéologique de Naqsh-é Rostam (نقش رستم) se trouve à 5 kilomètres au nord-ouest de Persépolis. Il abrite des bas-reliefs et les tombes supposées des souverains achéménides Darius Ier, Xerxès Ier, Artaxerxès Ier et Darius II.
À gauche se situe la « Ka’ba de Zoroastre » (کعبه زرتشت), probablement un temple du feu zoroastrien. Les envahisseurs arabes du 7ème siècle voulant détruire ce monument, sa préservation ne fut garantie que par l’ingéniosité iranienne qui le présenta comme le vestige du prophète Salomon.

-514 :Darius lance une campagne militaire contre les Scythes de Russie méridionale, ce qui conduit la colonie grecque de Byzance à se soumettre à sa suzeraineté. Malheureusement, cette entreprise se déroulant au nord de la mer Noire se termine par un échec. En effet, les Scythes utilisent la tactique de la terre brûlée et l’immensité de leur territoire empêche les envahisseurs iranien de prendre le dessus. Cette expédition n’a pas de suites. Toutefois, le fait que les Iraniens franchissent le Bosphore et progressent le long des côtes de la mer Noire, probablement au-delà de l’embouchure du Dniestr, incite le roi Amyngtias de Macédoine à reconnaître lui aussi la souveraineté iranienne, tandis que la Thrace est intégrée à l’empire.

-512 :Une satrapie appelée Hepthendon est créée dans le bassin de l’Indus. Celle-ci s’étendait jusqu’au Pendjab, une région actuellement partagée entre le Pakistan et l’Inde.

Les Achéménides et les guerres médiques

De -499 à -494 :Le soulèvement des cités ioniennes marque le début des conflits connus sous le nom de « guerres médiques ». Celles-ci oppose la Grèce des cités à l’Empire iranien des Achéménides désormais puissant. Au début du règne de Darius, le frère du tyran décédé de Samos avait déjà cherché le soutien du Grand Roi pour régner sur l’île à son tour.

La citadelle de Bam (ارگ بم), située dans la région de Kerman. Sa construction débuta vers le 5ème siècle avant Jésus-Christ.

Avant de se lancer dans la campagne contre les Scythes, Darius envoie son médecin grec Démocédès explorer les eaux des mers Égée et Ionienne jusqu’à Tarente. En même temps, une flotte iranienne navigue en mer Noire. De nombreuses colonies grecques y sont établies sur les côtes, échangeant le blé local contre du vin ou de la céramique de Grèce. Athènes, alors sous la tyrannie d’Hippias, semble prête à accepter la suzeraineté iranienne face à Sparte, championne de l’indépendance grecque. Elle envoie à ce titre une ambassade à Suse dans ce but. Cependant, le renversement du tyran rend impossible l’établissement de tels liens.

-490 :Après avoir vaincu les cités grecques d’Ionie en rébellion contre leur souverain, avec l’aide des cités de Grèce continentale, les Iraniens capturent Chio et Lesbos et cherchent à imposer leur suzeraineté aux cités qui continuent de les défier. Cependant, leur flotte se voit dispersée par une tempête. Ils débarquent ensuite en Eubée et assiègent Érétrie, qu’ils finissent par prendre d’assaut. Cette menace incite les Grecs à s’unir et Miltiade remporte la victoire de Marathon contre les forces ennemies largement supérieures en nombre, sous le commandement du mède Datis. Cet échec entraîne des répercussions en Égypte. Le satrape Aryandès fait face à une révolte et perd la vie avant que Darius ne vienne en personne rétablir son autorité.

empire des Achéménides Darius le Grand 486 avant Jésus-Christ
L’Empire achéménide en 486 avant Jésus-Christ, année de la mort de Darius Ier.

-486 :Décès de Darius Ier. Il étendit l’Empire iranien à son apogée territoriale tout en développant une administration puissante. Celle-ci reposait sur un partage du pouvoir entre le satrape et le chef militaire, que des représentants locaux du Grand Roi surveillent étroitement. La mise en place d’un vaste réseau routier et de premier réseau postal à cheval contribua également à la stabilité de l’Empire. De même permirent-ils la collecte de tributs importants provenant des différentes provinces.

Le règne de Xerxès et la poursuite des guerres médiques

De -486 à -465 :Règne de Khchayarchâ (Xerxès). Petit-fils de Cyrus, il avait régné sur Babylone pendant douze ans, jusqu’à la disparition de son grand-père. Il doit d’abord réprimer fermement les révoltes qui éclatent en Égypte et en Mésopotamie.

-481 :Xerxès lance une offensive militaire contre les Grecs, en dépêchant une armée colossale placée sous les ordres de Mardonios. Celle-ci rassemble des contingents recrutés parmi tous les peuples de l’Empire.

Wilhelm von Kaulbach, Die Seeschlacht bei Salamis, 1868, collection Maximilianeum
Wilhelm von Kaulbach, Die Seeschlacht bei Salamis (« La bataille de Salamine »), 1868, huile sur toile, collection Maximilianeum (Munich).
La flotte iranienne fut placée sous le commandement d’Artémis (portant une toge blanche et un arc sur le tableau), première femme iranienne à exercer la fonction d’amiral. Sa biographie est étudiée dans Les Iraniennes.

-480 :Après avoir traversé l’Hellespont, les Iraniens conquièrent facilement la Thessalie et la Macédoine sans rencontrer de grande résistance. Les Spartiates de Leonidas défendent avec courage le passage des Thermopyles. Cette résistance n’empêche pas Athènes de tomber aux mains des Perses qui incendient les monuments de l’Acropole. Cependant, sur les conseils de Thémistocle, les Grecs décident de poursuivre la lutte sur mer et anéantissent un tiers de la flotte perse à la bataille de Salamine. Xerxès regagne l’Asie et confie la poursuite de la campagne à Mardonios.

-479 :Mardonios subit une défaite et trouve la mort à Platées. Au même moment, la majeure partie de la flotte de Xerxès est anéantie près de Samos, au cap Mycale.

-466 :Sur les rives de l’Eurymédon, en Pamphylie, les Grecs remportent une nouvelle victoire face aux Perses.

Le règne d’Artaxerxès

De -465 à -424 :Artakhchathrâh (Artaxerxès ou Ardachir), également connu sous le surnom de « Longue Main », règne en tant que successeur de son père Xerxès. Il doit réprimer une révolte menée par son frère. Celui-ci gouvernait la région de Bactriane, située en Asie centrale au nord de l’Hindou-Kouch, sur les deux rives de l’Oxus (actuel Amou daria), dont Balkh est le principal centre. Après cela, il ordonne l’assassinat de ses autres frères.

Entre -464 et -454 :Une révolte éclate en Égypte, menée par Inaros et soutenue par les Athéniens. Artaxerxès et le satrape Mégabyze parviennent finalement à réprimer cette révolte.

-451 :Un accord de paix d’une durée de cinq ans est signé entre le Grand Roi et les Grecs. Les Iraniens renoncent aux cités grecques de la côte ionienne et la frontière occidentale de l’empire est ramenée à l’Halys.

Les successeurs d’Artaxerxès et le temps des épreuves pour les Achéménides

De -424 à -405 :Après le décès d’Artaxerxès, son fils Xerxès II monte sur le trône. Il ne règne cependant que six semaines avant d’être assassiné par Sogdianos, le fils d’une concubine de son père. Par la suite, l’un de ses frères, Vahûka (Okhos), satrape d’Hyrcanie, prend le pouvoir en 423 et règne jusqu’en -405 sous le nom de Darius II. Il fut notamment surnommé « Nathos », signifiant le « Bâtard ». Darius II s’implique dans les conflits en Grèce en soutenant Sparte contre Athènes durant la guerre du Péloponnèse.

De -405 à -359 :Artaxerxès II, fils aîné du précédent roi, règne avec le surnom de « Mnemon » en raison de sa remarquable mémoire. Son frère Cyrus, favori de leur mère Parysatis, tente sans succès de l’assassiner lors de son couronnement à Pasargades. Cependant, le souverain pardonne à son frère et l’envoie reprendre le contrôle des satrapies de Lydie, Phrygie et Cappadoce qu’il gouvernait précédemment . Malheureusement, le frère perfide récidive avant d’être finalement tué au combat. C’est en cette période que se déroule l’épisode des « Dix Mille », ces mercenaires grecs de l’armée de Cyrus qui, sous le commandement de Xénophon, furent contraints de retrouver leur patrie à travers l’Asie Mineure. Xénophon immortalisera notamment cet épisode dans son ouvrage Anabase.

Vers le déclin des Achéménides

-404 :L’Égypte proclame son indépendance après un soulèvement. Parallèlement, le spartiate Agésilas remporte une victoire contre les Perses. Cependant, sa cité le rappelle car le pouvoir financier du Grand Roi est devenu son principal moyen d’action lorsque ses armées ne sont plus invincibles. Artaxerxès II soutient également Thèbes dans sa lutte contre Athènes. Malgré plusieurs révoltes menaçant l’unité de l’empire, Artaxerxès sut la préserver jusqu’à sa mort.

-401 :Cyrus le Jeune se révolte contre son frère Artaxerxès II Mnemon. Il perdra la vie lors de la bataille de Kounaxa, au nord de Babylone.

-387 :La « paix du Roi », également connue sous le nom de « paix d’Antalcidas » en référence au négociateur spartiate, permet à l’empire iranien de reprendre le contrôle de l’Asie Mineure.

De -359 à -338 :Règne d’Artaxerxès (Ardaschir) III Ochos. Il prend des mesures pour éliminer tous ses frères susceptibles de devenir des rivaux et réprime les révoltes des satrapes.

empire des Achéménides Ardashir Artaxerxès 350 avant Jésus-Christ
L’Empire des Achéménides en 350 avant Jésus-Christ, sous le règne d’Ardashir III.

-353 :Le souverain iranien échoue dans sa tentative de reprendre le contrôle de l’Égypte. En représailles, il incendie Sidon et massacre ses habitants alliés aux rebelles égyptiens.

La menace macédonienne

-343 :L’aide apportée par Mentor de Rhodes permet de vaincre la résistance en Égypte. Par son concours, il permet à l’empire iranien de retrouver sa position. Menacée par Philippe de Macédoine, la cité athénienne envoie une nouvelle ambassade à Suse pour chercher à nouveau l’alliance iranienne.

empire des Achéménides Darius Alexandre le Grand 330 avant Jésus-Christ
L’empire des Achéménides en 330 avant Jésus-Christ, sous le règne de Darius III.

-338 :Cette année marque la fin de l’indépendance grecque avec la mort d’Artaxerxès III, empoisonné par l’eunuque Bagoas, qui élimine également son fils cadet et successeur Arsès. Philippe de Macédoine prend le pouvoir sur le monde hellénique.

De -335 à -330 :Darius III Codoman est le dernier roi de la dynastie achéménide. Celui-ci sera finalement vaincu par Alexandre le Grand.

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HistoireQassem SoleimaniSociété

Lettre du Général Soleimani à sa fille

Découvrez une lettre poignante du général Qassem Soleimani adressée à sa fille.

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Le 20 février 2021, l’agence de presse iranienne ISNA publiait cette lettre qui témoigne de l’intimité et de la profondeur des émotions ressenties par le général Soleimani. Dans cette missive, il exprime avant tout son amour inconditionnel et sa fierté envers sa fille. Mais il partage également les réflexions et les enseignements qu’il a tirés de sa vie et de son expérience.

Le général Qassem Soleimani se distingua par sa lutte acharnée pour la protection des minorités religieuses persécutées par Daech. Son combat contre le terrorisme fait de lui un symbole pour les populations touchées par le terrorisme. Sa détermination à lutter contre ce fléau a inspiré et mobilisé de nombreuses personnes.

général Soleimani lettre à sa fille

Dans cette lettre, le général Soleimani raconte des anecdotes de sa vie personnelle et partage des conseils précieux avec sa fille. Il réfléchit également sur l’importance de la famille, la force de la foi et le courage face aux défis. Cette lettre offre un aperçu unique de l’homme derrière le commandant militaire. Elle dévoile à la fois ses pensées les plus intimes et son amour paternel. C’est la parole d’un homme face à lui-même.

Morgan Lotz s’avère également être l’auteur d’une étude détaillée sur le général Qassem Soleimani. Reconnu pour son charisme, sa bravoure et sa perspicacité stratégique, il compte parmi les personnalités clés de la politique régionale de l’Iran et joua un rôle central dans la bataille contre l’organisation terroriste Daech. Son assassinat le 3 janvier 2020 à Bagdad fut un événement majeur qui suscita une vive émotion à travers le monde.

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Lettre du Général Qassem Soleimani adressée à sa fille

Son réalisé par Pierre Lorrain au CERKY STUDIO

Production et voix : Morgan Lotz

Mars 2021

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Histoire

Les Mèdes

Au 7ème siècle avant Jésus-Christ, les Mèdes (مادها) formaient un empire puissant qui s’étendait sur l’ouest de l’Iran. Découvrez leur histoire à travers cet article.

empire des Mèdes à son apogée
Carte de l’empire mède à son apogée

Des origines incertaines

Membre de la famille indo-européenne, ce peuple apparaît dans l’histoire vers 834 avant Jésus-Christ lorsqu’il est confronté à une campagne militaire menée par le roi assyrien Salmanazar III dans le nord-ouest de l’Iran.

Leur origine géographique est discutée. Celle-ci pourrait se situer près du Caucase ou dans les steppes de la mer Caspienne, d’où ils auraient migré vers la région du lac d’Urmiah. Comme les Perses, ils est probable qu’ils aient émigré sur le plateau iranien au début du premier millénaire avant Jésus-Christ.

Par la suite, les Mèdes s’installent près de l’actuelle Hamedan. Ils y fondent leur capitale, Ecbatane, dont le nom signifie « lieu du rassemblement ».

Chronologie de l’Empire mède

Vers -860 :Les Perses s’établissent au nord-est de Suse, dans la région du Parsumach, près d’Anshan.

Vers -825 :Les Mèdes s’installent près du lac d’Urmiah. Ils font face aux mouvements des tribus cimmériennes et scythes, mais surtout à leur principal ennemi, à savoir les Assyriens. Ils parviennent finalement à les vaincre en s’alliant au royaume néo-babylonien de Nabopolassar.

-728 -675 : Règne de Daïakku (peut-être le Déïocès d’Hérodote), fondateur de l’Empire mède.

-715 : Daïakkû est vaincu par le souverain assyrien Sargon II.

Début du 7ème siècle avant Jésus-Christ :Invasion des Cimmériens dans les monts Zagros.

Vers -675 :Khchathrita, également appelé Phraorte par Hérodote et Kachtariti dans les textes assyriens, succède à Daïakkû. Il unifie les Mèdes, les Mannéens et les Scythes présents dans les régions du Zagros. Il soumet ensuite les Perses établis dans le nord-est de Suse, dans le pays de Parsumach. Le nom de Parsumach est mentionné pour la première fois dans les inscriptions assyriennes en -692, lorsqu’il s’allie avec Anzan au cours de la bataille de Halulé contre l’assyrien Sennachérib, dont le règne s’étend de -705 à -681.

empire Assyrie carte
Carte de l’empire assyrien

De -681 à -668 :Règne d’Assarhadon d’Assyrie, durant lequel une ambassade assyrienne est envoyée auprès de Khchathrita. Cet élément indique l’importance que revêt alors le royaume mède.

De -675 à -640 : Règne de Tchichpich (Teïspès) sur le Parsumach auquel il ajoute l’Anzan et le Fars. Il est l’héritier du clan d’Hakkâmanich (Achéménès) qui donna son nom à la dynastie achéménide.

Entre -660 et -583 :Dates présumées de la vie de Zarathoustra, le réformateur de la tradition mazdéenne.

-653 :Khchathrita trouve la mort lors d’une incursion assyrienne réalisée sous le règne du roi assyrien Assurbanipal (-668 à -626). Pendant un quart de siècle, les Scythes règnent sur l’Iran jusqu’à la mort de leur roi Madyès en -625. La découverte du trésor de Sakklez, situé au sud du lac d’Urmiah, illustre cette période scythique. Pendant ce temps, les Perses achéménides en profitent pour consolider leur indépendance sans toutefois entrer en conflit avec leurs puissants voisins.

-640 :Après la mort de Teïspès, ses deux fils se partagent son royaume, conformément à ses plans. Ariaramne, qui règne de -640 à -590, devient le « Grand Roi, roi des rois, roi du pays de Parsa », tandis que son frère Kûrach, connu également sous le nom de Cyrus Ier, règne de -640 à -600 en tant que « Grand Roi du Parsumach et roi d’Anzan ».

-625 :Uvakhchatra, également connu sous le nom de Cyaxare, fils de Khchathrita, saisit l’occasion lors d’un banquet pour enivrer les chefs scythes et les faire exécuter. En conséquence, Cyaxare devient le maître de la partie occidentale du plateau iranien. Il constitue dès lors une armée comprenant des fantassins équipés à la manière des Assyriens. Mais surtout, il se dote d’une cavalerie nombreuse et hautement mobile qui s’avère redoutablement efficace. Dès lors, il dirige son expansion vers la Mésopotamie voisine, étendant ainsi le territoire de son royaume.

-615 : Cyaxare conquiert Arrapha (aujourd’hui Kirkouk, en Irak) et ensuite Assur en août -614. Il forme ensuite une alliance avec le babylonien Nabopolassar. Ce dernier avait précédemment fait une tentative infructueuse de résistance contre les Assyriens en -616. Le mariage d’une petite fille du roi mède, Amyrtis, avec le roi babylonien Nabuchodonosor, fils aîné de Nabopolassar, scella cette alliance.

-612 :Cyaxare et Nabopolassar s’emparent de la capitale assyrienne Ninive, d’ailleurs détruite au cours de cet affrontement.

Mèdes sur escalier Apadana Persépolis
Des porteurs d’hommage mèdes représentés sur l’escalier de l’Apadana, à Persépolis.

-610 : Cyaxare et les Babyloniens prennent Harran, nouvelle capitale de l’Empire assyrien où le roi Assuruballit II s’est réfugié. Cela marque la fin de cet empire qui s’était étendu de l’Élam jusqu’à la Haute Égypte. Les Babyloniens annexent l’Élam et le nord de la Mésopotamie. Les Mèdes prennent le contrôle des régions montagneuses du nord, notamment le royaume d’Ourartou situé sur le territoire futur de l’Arménie et les anciennes provinces assyriennes d’Asie Mineure, jusqu’à la frontière formée à l’ouest par le cours de l’Halys (le Kizil Irmak d’aujourd’hui, qui traverse maintenant une large boucle au centre de l’Anatolie). Ils contestent la frontière pendant sept ans avec le royaume de Lydie, jusqu’à ce qu’une éclipse de soleil survenue en -585 n’effraie les adversaires à tel point qu’ils décident de conclure la paix.

De -600 à -559 :Kambûjiya (Cambyse), successeur de Cyrus Ier, règne sur le Parsumach et l’Anzan. Après -590, il renverse Arsame, fils d’Ariaramne, pour régner également sur la Perside (Parsua). Selon Hérodote, Hystaspe, fils d’Arsame, aurait ensuite régné sur la Perside au début du règne de Cyrus II le Grand. En outre, Cambyse scelle une alliance en épousant Mandane, fille du roi mède Astyage, alors le souverain le plus puissant de la région.

-585 :Après la mort de Cyaxare, son fils Ichtûmegû (Astyage) lui succède et règne jusqu’en -550. De son règne d’environ trente ans sont notables la paix et l’adoption par les Mèdes des traditions royales de l’ancienne Assyrie.

Les Mèdes et la Médie

Les Mèdes n’ont laissé aucun écrit permettant de reconstituer leur histoire. Seules des sources extérieures telles que les annales assyriennes, babyloniennes et grecques, ainsi que par des sites archéologiques en Iran supposément occupés par les Mèdes, nous permettent de connaître ce peuple et son histoire.

Selon les récits d’Hérodote, les Mèdes étaient un peuple puissant qui aurait construit un empire au début du 7ème siècle avant Jésus-Christ. Celui-ci dura jusqu’en 550 avant notre ère. Ils jouaient un rôle crucial dans la chute de l’empire assyrien et rivalisaient avec les royaumes puissants de Lydie et de Babylone.

L’empire mède

Le terme « empire » utilisé pour décrire les Mèdes est sujet à débat. Il est possible de soupçonner qu’Hérodote ait attribué à leur puissance les caractéristiques de l’Empire perse achéménide. Selon les données archéologiques rassemblées dans le nord de l’Iran, il semble plus probable qu’il existait plusieurs pouvoirs locaux correspondant davantage à une confédération de tribus qu’à un empire unifié.

Fouilles à Hamedan, l’ancienne Ecbatane, l’une des plus anciennes villes du monde.
Selon le poète Ferdowsi, le roi mythique Djamshid fonda Hamedan en 673 avant Jésus-Christ.

Les nouveaux arrivants, des peuples cavaliers connus pour leurs troupeaux de chevaux, adoptèrent largement la culture des peuples qu’ils ont soumis. Certaines de leurs créations, telles que les célèbres bronzes du Luristan, témoignent cependant d’une originalité profonde.

La puissance des Mèdes s’étendait du centre de l’Anatolie jusqu’aux abords de la Bactriane, au cœur de l’Asie centrale. Ecbatane servait d’ailleurs de résidence estivale aux souverains achéménides. Les Mèdes sont par la suite peu mentionnés dans l’histoire de leur empire, sinon le nom de leur région, devenue ensuite l’Azerbaïdjan. En 330 avant Jésus-Christ , le satrape de Médie, Atropatès, combattit contre Alexandre.


Cartes particulières par Ch. Picquet , Géographe du Roi et de Mgr. le Duc d’Orléans. Paris, 1839. Chez Charles Picquet, Quai Conti n° 17, près du Pont des Arts.

Après la chute du dernier roi mède face à Cyrus II de Perse, la Médie devint une province importante et précieuse. Elle sera successivement dominée par les empires achéménide, séleucide, parthe et sassanide.

Ainsi, si l’ampleur et la puissance exactes du royaume mède restent incertaines, il est indéniable que la Médie continua de jouer un rôle significatif dans l’histoire de la région, en tant que terre convoitée par de nombreux empires successifs.

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La Préhistoire en Iran

L’histoire de l’Iran débute dès la Préhistoire. Par « Préhistoire » est entendue la période précédant l’émergence de l’écriture et l’utilisation des métaux dans l’histoire de l’humanité.

peinture Préhistoire Iran
Peinture de la grotte de Dosheh, Khoramabad (Lorestan),
vers le 8ème millénaire avant Jésus-Christ

La Préhistoire en Iran, aux origines de l’humanité

En 1949, Roman Ghirshman identifia des traces d’occupation humaine dans une grotte appelée Tang-é Padban, dans les montagnes bakhtiaries du Zagros. Celles-ci remontent au VIIème millénaire, à l’aube du Néolithique. Des découvertes furent réalisées dans les grottes de Belt et de Hotu, situées à proximité de la mer Caspienne. Celles-ci nous informent de l’existence de plantes cultivées et d’animaux domestiqués. Des objets tels qu’une figurine de sanglier et la « Vénus » de Tepe Sarab (non loin de Kermanshah) suggèrent des affinités avec le Néolithique anatolien de Hacilar. La céramique peinte était largement répandue dès le Vème millénaire avant Jésus-Christ. De même que le cuivre fondu fut utilisé vers -4000 dans différents sites, notamment celui de Tal-é Iblis.

Au sud-ouest du pays, le processus d’urbanisation démarre à la fin du IVèmemillénaire. Une découverte plus récente révèle également l’urbanisation dans des régions longtemps inexplorées par les archéologues, notamment à Tepe Yahya et Shahr-é Sokhta. Ces dernières font écho aux centres identifiés en Susiane, où l’urbanisation semblait être liée à l’influence mésopotamienne.

La civilisation élamite qui se développa en Susiane fut longtemps considérée comme une extension des civilisations sumérienne ou akkadienne vers le sud-est. Les collines de Tepe Sialk, fouillées par Roman Ghirshman entre 1933 et 1937 près de Kashan, au sud de Téhéran, révélèrent de nombreuses informations à ce sujet.

La Préhistoire en Iran : les sites archéologiques de Sialk

La période connue sous le nom de Sialk I est contemporaine de la période Hassuna-Samarra en Mésopotamie, au Vème millénaire avant Jésus-Christ. Il s’agissait d’un village de huttes progressivement remplacé par des maisons en pisé, construites par une population d’agriculteurs et d’éleveurs. C’est à cette époque que le cuivre apparut, marquant la transition entre le Néolithique et le Chalcolithique.

Les niveaux ultérieurs de Sialk II (ceux-ci débutant vers la seconde moitié du Vème millénaire) montrent l’émergence de constructions en briques crues et d’une céramique plus évoluée, avec des décorations comprenant désormais des représentations animales schématisées.

La période nommée Sialk III se caractérise par les vestiges du tepe sud datés de -3800 à -3000. Les briques deviennent désormais cuites,  la pierre apparaît dans l’architecture et le décor de la céramique devient plus complexe.

La renaissance de Sialk IV et l’influence élamite

Sialk III disparaît lors d’un incendie général. Sialk IV, qui le suivra, témoigne des influences élamites (notamment dans les pratiques funéraires) à la fin du IVème et au début du IIIème millénaires. Le site sera à nouveau occupé durant la seconde moitié du IIème millénaire.

Sialk V date pour sa part de l’âge du bronze. Pourtant, des objets en fer sont déjà présents. Au cours des siècles suivants, les tombes de cavaliers découvertes sur le site suggèrent peut-être la présence d’une population ancêtre des Mèdes. Le site de Tepe Giyan, découvert en 1928 au sud-ouest de Nehavend, en Iran occidental, révéla au cours des fouilles entreprises par Roman Ghirshman et Georges Contenau dans les années 1930 des niveaux du Chalcolithique ancien contemporains de -4700 à -4400. Le décor animalier de la céramique montre des similitudes avec la culture des tumuli sur le site d’Anau, dans les steppes du Turkménistan. Toutefois, ce sont les influences mésopotamiennes qui prédomineront avec le temps.

Les premiers habitats préhistoriques en Iran

Les vestiges découverts à Tepe Giyan, datant de la fin du IIIème millénaire, sont similaires à ceux excavés sur le site d’Hasanlu. Les premiers niveaux remontent au milieu du IVème millénaire. Ceux-ci mettent en lumière des structures en brique crue remplacées par des briques cuites à l’époque de Hissar II. Ce site dévoile également un grand nombre de perles en lapis-lazuli, des bagues, des bracelets principalement en cuivre, mais également en or et en argent. Hissar II se termine brutalement vers -2300 à la suite d’une destruction violente.

La cité renaît deux siècles plus tard et atteint son apogée, en témoigne l’importance de ses monuments. Cependant, une dernière destruction coïncidant avec l’ère du Bronze ancien brise cette prospérité retrouvée. Les fouilles menées dans le Louristan, notamment à Tepe Guran, ont révélé deux grandes périodes d’occupation : une datant du néolithique au VIIème et VIème millénaires avant Jésus-Christ, et une autre, contemporaine de l’âge du bronze et du début de l’âge du fer, entre -1300 et -600.

Les célèbres bronzes du Louristan utilisés pour équiper les chevaux, étudiés notamment par l’archéologue belge Louis Vanden Berghe, remontent aux cinq premiers siècles de l’âge du fer. Ils sont attribuables à un peuple de cavaliers que l’on suppose être les ancêtres des Mèdes. La comparaison des scènes représentées sur ces bronzes avec les textes de l’Avesta permit de leur donner une interprétation. Près du lac d’Ourmiah, le site de Hasanlu recèle des niveaux riches en artéfacts de l’âge du bronze. Il s’agit des vestiges d’une forteresse des débuts de l’âge du fer qui sont le mieux conservés, tandis que des tombes beaucoup plus anciennes rappellent celles de Sialk et Tepe Giyan.

La civilisation de l’Élam, entre Suse et Mésopotamie

Vers l’ouest, Suse, qui deviendra une grande capitale achéménide, est habitée dès le Vème millénaire avant Jésus-Christ. Les archéologues mirent en évidence les liens entre Suse et les cultures mésopotamiennes d’Obeid et d’Uruk. Au début du IIIème millénaire, l’apparition de tablettes proto-élamiques marque le début d’une histoire qui verra la conquête de la cité par le roi d’Akkad, Naram-Sin, suivi par l’imposition de la IIIème dynastie d’Ur.

Vers -1850, une nouvelle dynastie locale prendra le relais, formant un royaume qui reçoit un tribut de Babylone et qui fait même venir de la capitale mésopotamienne le célèbre code d’Hammurabi, retrouvé à Suse comme butin. Ainsi, Darius Ier décidera de construire l’un de ses palais dans cette cité chargée d’une longue histoire. Anshan (Tal-é Malyan, au nord de Chiraz), étroitement liée à l’Élam après sa domination par les rois d’Ur, se voit occupée dès la fin du Vème millénaire. C’est pourtant aux 7ème et 6ème siècles avant Jésus-Christ, avec l’essor de la puissance néo-élamite, qu’elle atteint son apogée. Elle deviendra par la suite le point de départ de l’Empire perse lorsque Teispès, fils d’Achéménès, l’occupera.

Ce sont essentiellement des sites de l’ouest de l’Iran, découverts et explorés au cours de la première moitié du 20ème siècle, qui permirent de recueillir des informations significatives. Souvent fragmentaires et disparates, ceux-ci nous renseignent sur l’histoire des vastes régions à l’est des Zagros. Ces éléments permettent une compréhension plus complète de l’Élam.

Généralement considéré comme faisant partie du monde mésopotamien, la civilisation de l’Élam est le principal centre culturel et la première civilisation urbaine de la période pré-iranienne. Elle est antérieure à l’arrivée dans l’ouest du plateau des cavaliers indo-européens venus du nord qui jouèrent un rôle décisif dans l’ethnogenèse des Mèdes et des Perses.

De nouvelles découvertes survenues en 2003

De nouvelles découvertes en 2003 remirent en question l’interprétation traditionnelle de cette période. Les fouilles menées autour de Jiroft, dans la vallée du Halil Roud, dans la province de Kerman, au sud-est du plateau iranien, ont révélé l’existence d’une civilisation jusque-là inconnue, contemporaine de celles de la Mésopotamie et de l’Indus, datant du IIIème millénaire.

Une conception bouleversée la Préhistoire en Iran

Les découvertes des sites de Shahdad et de Tepe Yahya, complétées par celles de Jiroft, permettent de répondre à des questions restées sans réponse depuis longtemps. Ces interrogations concernent notamment la présence d’objets de prestige importés en Mésopotamie ou sur les côtes de la péninsule arabique. Par exemple des vases en chlorite ornés de pierres semi-précieuses dont l’iconographie semble avoir influencé les décors sumériens. Cette nouvelle perspective suggère que la civilisation urbaine révélée à Jiroft pourrait correspondre au royaume mythique d’Aratta mentionné dans les légendes mésopotamiennes.

En plus de la production d’objets de prestige qui alimentaient un commerce florissant, la civilisation de la vallée du Halil Roud aurait peut-être fourni le modèle de la ziggurat mésopotamienne. À cette époque, la région était une plaine alluviale fertile, là où la steppe et le désert dominent aujourd’hui. L’abondance de l’eau permettait une agriculture et un élevage caprin prospères.

L’identification de nouveaux sites préhistoriques en Iran

Découvertes en 2003 après une période de pillage étendue sur plusieurs années, les fouilles permirent d’identifier quatre-vingts sites ainsi que les vestiges d’une ville fortifiée. Les motifs trouvés sur ces sites s’avèrent particulièrement intrigants. En effet, ils représentent souvent des thèmes mythiques mésopotamiens qui ne figureront sur les rives du Tigre que six siècles plus tard. Par exemple, l’homme-scorpion, présent dans l’épopée de Gilgamesh, est abondamment représenté dans la vallée de Halil Roud où des traces d’une écriture datant du début du IIIème millénaire furent identifiées.

Ces découvertes récentes sont d’une importance capitale pour l’étude de la Préhistoire en Iran. En effet, elles remettent en question la primauté traditionnellement attribuée à la Mésopotamie dans l’émergence de la civilisation urbaine. Elles révèlent aussi l’existence, il y a cinq mille ans, de liens commerciaux intenses entre cette région désertique actuelle et les foyers de civilisation bien établis du bassin de l’Indus et du « pays d’entre les fleuves ».

Le peuplement du plateau iranien durant la Préhistoire

Le plateau iranien occupa une place prépondérante dans la naissance des grandes civilisations orientales durant la Préhistoire en Iran. Il révèle des cultures sédentaires importantes établies dans diverses régions depuis les VIème et Vème millénaires avant Jésus-Christ.

La Préhistoire en Iran et le développement de l’urbanisation

Alors que Suse et l’Élam semblent plutôt relever de l’espace culturel mésopotamien, les centres du Halil Roud, découverts récemment, illustrent l’existence de grandes civilisations urbaines contemporaines de l’Égypte de l’Ancien Empire, des villes-États sumériennes et des cités de l’Indus ayant émergé sur le territoire iranien. Cette floraison civilisationnelle eut lieu avant l’arrivée, pendant le IIème millénaire, des nomades indo-européens venus du nord. Il s’avère important de replacer la formation des peuples ayant mené à la création de l’Empire perse achéménide aux 8ème et 7ème siècles avant Jésus-Christ dans une perspective à long terme pour comprendre leur importance.

Aujourd’hui, les archéologues étudient les circonstances entourant l’émergence du Royaume perse et ses liens avec le Royaume élamite qui l’a précédé dans le sud-ouest de l’Iran actuel. Cette réflexion remet en question le scénario traditionnel de la naissance du Royaume perse. Selon ce dernier, les Perses seraient arrivés au nord-ouest de l’Iran au début du IIème millénaire, auraient ensuite migré vers le sud à travers les montagnes Zagros, s’installant d’abord près du lac d’Urmiah, puis près de Kermanshah, avant de s’établir finalement dans le Fars au 4ème siècle avant Jésus-Christ pour fonder la dynastie achéménide. Cela s’explique notamment par les découvertes faites à Anshan (Tall-é Malyan).

Le Fars, bascule de l’Iran de la Préhistoire à l’Histoire

Dans le Fars, une crise se manifesta par un processus de désurbanisation débuté au milieu du IIème millénaire. Celui-ci vit l’abandon de toutes les villes, y compris la capitale Anshan, vers -900. Ces événements conduisirent également à une quasi-disparition des établissements sédentaires. Cette évolution s’accompagne d’une forte augmentation des populations nomades pastorales. Atteignant son apogée pendant la première moitié du Ier millénaire, elle conduisit à l’isolement du Fars par rapport au Khouzistan élamite, où la majorité des populations sédentaires se concentraient désormais.

À partir de la seconde moitié du IIème millénaire, de nouvelles populations iraniennes ont occupé le Fars, qui demeura tout de même isolé jusqu’à la fin du 8ème siècle. À partir de ce moment, la brève renaissance de l’Élam permit à cette région de dominer à nouveau la contrée. Cela fut toutefois de courte durée. En effet, les Assyriens pillent Suse, la capitale élamite, en -646. La fin du 7ème siècle est le témoins de la chute du pouvoir assyrien, de l’émergence d’un brillant Royaume néo-babylonien et de la formation d’un royaume mède à partir de la région centrale du Zagros.

Vers -635, une royauté d’Anshan indépendante de l’Élam se forme dans le Fars sous la gouvernance d’une dynastie perse. L’émergence de ce nouveau royaume d’Anshan coïncide avec une importante sédentarisation issue de la fusion entre les populations autochtones longtemps sous l’influence de l’Élam et les nomades perses. Ainsi, la Perse historique semble née de la synergie entre les traditions élamites et iraniennes. L’influence élamite entama son déclin sous le règne de Darius Ier, où les éléments iraniens commencèrent à dominer de façon prédominante, un processus favorisé par la proximité du Royaume mède avec lequel les Perses entretenaient de nombreux liens.

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Wilhelm Waßmuß, le « Lawrence allemand »

Par Morgan Lotz

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Parmi les acteurs importants de la Première Guerre mondiale, la figure du diplomate et espion allemand Wilhelm Waßmuß est l’une des plus méconnues. Oublié avec le temps, parce que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, son rôle ne fut cependant pas négligeable durant ce conflit en Iran, au point qu’il est comparé à Lawrence d’Arabie.

Semblablement à son homologue britannique, il fut de ces Européens envoûtés par la puissance du désert, étrangers appelés aux destins héroïques parmi des peuples dont l’aura leur confère l’étoffe des grands conquérants et des prophètes. Il mènera sa mission à travers les écueils des jeux d’alliances et des contre-attaques dans une lutte impitoyable entre deux puissances exportant leur sanglante inimitié en Iran.

Les jeunes années de Wilhelm Waßmuß

Né à Ohlendorf le 14 février 1880, Waßmuß est l’aîné d’une famille de fermier. Fréquentant l’école primaire en 1893, il obtient son baccalauréat au lycée de Goslar en 1900. Pris de passion pour les langues étrangères, il y étudiera le latin, le grec, l’anglais, le français et l’hébreu. Il entame par la suite à Marburg des études de droit, poussé par la pression familiale, études qui le conduiront à s’installer la même année à Berlin. Waßmuß décide de s’inscrire au séminaire d’étude des langues orientales à Berlin après avoir pris connaissance des recherches du ministère fédéral des Affaires étrangères, en proie à un manque de personnel qualifié dans le domaine des traductions et de l’interprétariat. Il étudie dès lors l’arabe et le marocain en parallèle de ses études de droit. Il déménage au cours de l’hiver 1902 à Göttingen où il achève ses études de droit à l’université et passe son premier examen de droit au tribunal régional supérieur de Celle, qui lui permet de débuter comme stagiaire juridique au tribunal royal de Zellerfeld en 1904 (situé dans le district de Goslar). Il ne tarde pas à être muté à Berlin où il fut reçu en août à un examen d’arabe et de marocain. Il débute en octobre de la même année son service militaire au IIIème Département d’artillerie de Marine de Lehe en région, une unité destinée au service à l’étranger. C’est au cours de son service militaire qu’il dépose au ministère des Affaires étrangères une demande de mission dans le service de traduction ; convoqué à un entretien, il accepte le poste au consulat de Zanzibar qui lui est proposé.

Wilhelm Waßmuß prend son service à Zanzibar le 8 janvier 1906, époque au cours de laquelle les mutations du Reich deviennent pour nombre de tribus africaines une source d’espérance. Apprenant et maîtrisant rapidement la langue swahilie, ses supérieurs témoigneront leur satisfaction, ce qui lui permettra d’être sollicité en 1909 au poste de consul adjoint à Boushehr, en Iran, pour représenter le consul Helmuth Listemann[1].

Hendrik Gröttrup Wilhem Wassmuus, der deutsche Lawrence le Lawrence allemand 2013
Couverture du livre de Hendrik Gröttrup intitulé Wilhem Wassmuus, der deutsche Lawrence (paru en 2013)

L’année suivante, Waßmuß est de retour en Tanzanie, missionné comme vice-consul de la ville portuaire de Tanga le 31 octobre ; il profitera de cette période pour étudier attentivement les peuples du désert. Le 18 mai 1913, il est à nouveau envoyé à Boushehr comme directeur provisoire du vice-consulat. La situation politique qui règne alors en Iran est exacerbée par les relations conflictuelles entretenues entre la Russie et la Grande-Bretagne. Les habitants de la région de Boushehr, hostiles à toute présence étrangère, s’opposèrent à plusieurs reprises aux Britanniques. Les élites et les chefs des tribus, alors dépossédés de tout pouvoir, cherchaient un allié pour contrer les Britanniques. Ils décèlent en Waßmuß cet allié potentiel au cours de ses voyages à l’intérieur des terres iraniennes au cours desquels le diplomate noue des liens avec les khâns les plus influents. Dès lors, les soupçons britanniques se portent à son encontre, suspectant dans ses activités d’espionnage et d’influence politique le dessein de provoquer le soulèvement des tribus de la région contre la présence britannique.

Wilhelm Waßmuß, de l’aventure à l’entrée dans l’Histoire

C’est lorsqu’il est muté en 1914 à l’ambassade d’Allemagne du Caire en tant que drogman[2] qu’il apprend la nouvelle du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il prend alors la décision de modifier son itinéraire et de se précipiter à Berlin où il arrive le 31 août. Waßmuß avait parfaitement compris le rôle prépondérant qu’il pouvait jouer dans la stratégie de provoquer des insurrections parmi les populations colonisées par les puissances européennes adversaires de l’Allemagne. C’est sous la direction de Max von Oppenheim (1860-1946) qu’il planifia cette stratégie d’insurrection secrète afin de perturber l’ordre dans les zones musulmanes, faisant alors partie des domaines d’intérêts des puissances russes, britanniques et françaises. Pour ce faire, il était nécessaire d’exercer une influence sur les populations des différentes régions et notamment les dirigeants locaux. Cette mission, en plus de nécessiter une intense et savante propagande, exigeait l’octroi d’une aide militaire comprenant la livraison d’armes et de munitions ainsi que le financement de ces mouvements. Cette méthode de guerre est immédiatement approuvée par l’empereur allemand Guillaume II lorsqu’il en prend connaissance. Waßmuß est alors affecté dans une expédition destinée à provoquer en Iran et en Afghanistan différents soulèvement contre les Britanniques jusqu’en Inde[3].

Max von Oppenheim

Waßmuß part de Berlin en compagnie de vingt-et-une autres personnes qui constitueront son équipe le 6 septembre 1914 en direction de Constantinople ; cependant, cette équipe ne conviendra pas à sa direction en raison d’un manque de compétences et d’un comportement inadéquat dont ont fait preuve certains membres une fois arrivés à destination. L’ambassadeur d’Allemagne, Hans Freiherr von Wangenheim (1859-1915), va alors usé de son influence pour que cette équipe soit reconstituée et placé sous le commandement de Waßmuß.

Un second groupe dirigé par Oskar von Niedermayer (1885-1948) et un troisième dirigé par Werner Otto von Hentig (1886-1984) furent envoyés sur place ; le groupe de von Niedermayer rejoint d’ailleurs celui de Waßmuß à Baghdâd le 9 janvier 1915. Dès lors, chacun rejoint son poste. Waßmuß, qui s’est coordonné avec Helmuth Listemann rejoint en compagnie de sept hommes la ville iranienne de Shirâz avec l’objectif de poursuivre en direction de l’Afghanistan, approuvé sans avoir attendu le retour de Berlin par l’ambassadeur von Wangenheim.

Titulaire d’un passeport diplomatique lui attribuant la fonction de consul, Waßmuß parvint à rejoindre la frontière iranienne le 1er février 1915 avec l’objectif de se déplacer en Iran afin de mener une mission dont il rêvait depuis plusieurs années : mener la révolte parmi les populations et les tribus iraniennes contre la domination anglo-russe dans la région. En effet, les positions britanniques en Iran et au Koweit constituaient des avant-postes destinés à protéger leurs intérêts indiens ; de plus, les gigantesques réserves pétrolières découvertes au début du siècle dans la région du Khouzistân constituaient une nouvelle source de revenus non négligeable pour la Grande-Bretagne, qui espérait bien asseoir sa domination sur les terres iraniennes. C’est une fois la frontière franchie qu’il apprend que la sécurité de son expédition ne pouvait être garantie par les autorités iraniennes déjà mises en difficulté par les combats qui se déroulent en Azerbaïdjân iranien et par la domination anglaise dans le sud, les Britanniques n’hésitant d’ailleurs guère à signaler qu’ils cessaient de se conformer au droit international… Waßmuß l’ignore pour le moment, mais ses ennemis européens sont déjà informés de sa mission, ayant même offert une récompense pour sa capture.

Le 5 mars, sa caravane est victime d’une attaque britannique au cours de laquelle il parvient à s’échapper avant de rejoindre Borazdjân à quelques 100 kilomètres de distance. Malheureusement pour lui, son médecin est arrêté et le matériel saisi ; parmi les armes et les supports de propagande figure la liste complète des protagonistes participants à l’opération. En conséquence de quoi, le 6 mars 1915, les Britanniques entrent par la force et en complète violation du droit international dans le consulat allemand de Boushehr ; le consul Listemann est arrêté au cours d’une opération illégale et interné au centre de détention pour civils d’Ahmednagar, en Inde. Il faudra attendre la publication en 2009 des mémoires de l’un des officiers britanniques responsable de l’attaque, Cecil John Edmonds[4], pour connaître les descriptions précises de cet incident militaire et diplomatique au cours duquel un livre de code diplomatique allemand fut saisi pendant la perquisition, permettant ainsi le décryptage de la correspondance diplomatique allemande par la Grande-Bretagne.

Waßmuß traverse d’abord les villes de Dezfoul et Shoushtar avant de s’établir à Boushehr où il organise les tribus Bakhtyâri, Tangsir et Qashghâi afin de les conduire à la rébellion contre les Britanniques. Il rencontre durant cette période le gouverneur Mohammad-Ali Shabankareh qui le convie au château de Rostam Khâni, l’assurant son soutien pour lutter contre l’entente anglo-russe. Menant une intense campagne de sensibilisation des chefs locaux en distribuant des brochures et des documents promouvant son appel, Waßmuß est rapidement dans une dangereuse situation : la police de Shoushtar tente de l’arrêter, le poussant à s’enfuir à Behbahân, à 160 kilomètres vers le sud. Les Britanniques avaient très tôt compris le danger que représentait pour eux Waßmuß : en effet, ils avaient réalisé la nécessité de l’appréhender après avoir lu ses brochures et constater sa renommée grandissante à travers tout le pays.

Le notable dirigeant la ville, membre de la tribu des Hayât-Dâvoudi[5], le reçoit cordialement et l’invite à dîner ; il s’agit cependant d’un piège puisque le diplomate allemand est rapidement placé sous la surveillance de la garde en vue d’être vendu aux Britanniques. C’est en cours de route que le messager dépêché rencontre un détachement britannique et l’informe de la capture de Waßmuß ; celui-ci fait alors immédiatement route vers Behbahân. Heureusement pour Waßmuß, les négociations pour son prix sont retardées par l’exigence protocolaire de la politesse orientale qui fit perdre aux Britanniques un temps précieux lui permettant de s’évader. L’histoire de son évasion relève d’un concours de circonstance en sa faveur assez déroutant : il avait déclaré à ses geôliers que son cheval, malade, devait être promené toutes les heures ; Waßmuß put donc le faire trotter sous la surveillance d’une escorte. Un beau matin, alors que ses gardes se furent endormis, lassés de devoir sans cesse l’escorter jusqu’aux écuries, le diplomate allemand parvint à s’évader, forcé d’abandonner dans la cour de la demeure ses bagages qui seront par la suite expédiés à Londres et dans lesquels se trouvait un livre recensant les codes diplomatiques usités par les services de renseignements allemands.

Casque de Wilhelm Waßmuß Lawrence allemand Braunschweigisches Landesmuseum
Casque tropical porté par Wilhelm Waßmuß exposé au Braunschweigisches Landesmuseum

 Désormais libre mais activement recherché par les Britanniques, Waßmuß poursuit sa mission et parvient à rassembler 300 cavaliers au mois de juillet 1915 ; leur première attaque est menée dans la nuit du 11 au 12 juillet à l’encontre de la résidence d’été du consul général britannique. Devant son offensive et le danger qu’elle représente, ses adversaires lui opposent les South Persian Rifles, sans toutefois parvenir à l’empêcher de pénétrer et d’occuper le consulat général du Royaume-Uni le 10 novembre 1915, avec l’aval du Comité pour la protection de l’indépendance de la Perse qui lui adjoignirent des combattants iraniens réguliers. La région comprise entre Shirâz et Boushehr étant désormais coupée du reste de l’Iran occupé par les Britanniques, ces derniers contre-attaquent dans les mois suivant après que de nouveaux détachements eurent renforcé leur dispositif déjà présent. Waßmuß est contraint de quitter l’Iran le 11 septembre 1916, regagnant l’Irak à pied et camouflé dans une tenue tribale locale ; ces dispositions ne l’empêcheront guère d’être attaqué par des brigands qui, l’ayant dépouillé, le laisseront pour mort avant que ne le retrouvent des membres d’une tribu amie. Il passera plusieurs mois alité au domicile de la famille qui l’avait recueilli, sans pouvoir autrement poursuivre sa mission que par l’envoi de missives et d’éléments de propagande aux chefs des tribus dont l’opinion demeurait de son côté.

L’armistice de Moudros, actant la fin de ce premier conflit mondial entre l’Empire ottoman et les Alliés, est signé le 30 octobre 1918. Quelques jours plus tard, le 11 novembre, l’Allemagne signe l’armistice, entraînant conséquemment le terme de la mission de son agent, qui est invité à se mettre en relation avec les autorités iraniennes sous huitaine. Sans attendre l’écoulement de ce délai, Waßmuß gagne Téhéran avec deux de ses compagnons et son assistant ; il sont finalement arrêtés par des gendarmes iraniens lorsqu’ils se présentent à la porte nord de Téhéran le 26 mars 1919. L’Allemagne ne les abandonne cependant pas à leur sort et intervient en dépit de confusions bureaucratiques, s’étant conclues par des scènes jugées indignes, afin qu’ils soient libérés et escortés sans frais à leur charge jusqu’en Allemagne ; il rentre à Ohlendorf le 20 septembre 1919.

Wilhelm Waßmuß après la guerre, vers l’oubli et la solitude

Wilhelm Waßmuß va connaître après ce premier conflit d’envergure mondiale un destin moins agréable : chanceux d’avoir survécu, il connaît une lente et inexorable déchéance lorsque les chefs des tribus qui l’avaient rallié perdent peu à peu leur confiance dans une victoire allemande. Fort de son succès et de la création d’un réseau qui s’étendait de l’Iran jusqu’en Inde en passant par l’Afghanistan, lui pour qui les Britanniques allaient même jusqu’à offrir une récompense en échange de sa capture, rentrait au pays sans la gloire qu’il eut tant espéré. L’image qui reste de lui le décrit comme un fervent patriote imprégné d’une aura mystique non dénuée d’un fanatisme et d’une mégalomanie que nous ne pouvons guère confirmer. Wilhelm Waßmuß fut de ces Européens épris du charme du désert et pour l’amour duquel il s’imprégna de ses codes et de sa culture pour connaître ses secrets et éprouver ses mystères, maîtrisant les langues autochtones et s’intégrant parfaitement parmi ses populations aussi bien psychologiquement que physiquement, sans jamais dévier de sa mission pour laquelle il fut appeler à mentir sans vergogne au nom de l’Allemagne mais demeurant attaché à ses principes moraux envers ceux qui le protégèrent.

Rentré à Ohlendorf le 20 septembre 1919, il se rend au ministère des Affaires étrangères le 30 afin de remettre son compte-rendu. Il épouse durant l’été 1920 Irma Luiken et est reçu à l’examen de consul ; de nouvelles fonctions lui sont attribuées le 26 octobre 1920 au département IV du ministère fédéral des Affaires étrangères, chargé du département des nouvelles. Mais Waßmuß n’oublie guère ses promesses qui le lie aux tribus iraniennes… Il ne parvient aunement à persuader son ministère de régler les paiements garantis aux chefs de tribus, l’administration allemande refusant de lui prêter plus de 300 livres anglaises.

Waßmuß décide alors de repartir par ses propres moyens en Iran. Il revient en 1924 à Boushehr et achète des terres à Tchoghâdak afin de développer une exploitation agricole dont les bénéfices qu’il espérait en tirer devaient lui permettre de rembourser les sommes promises. Bien que la production qu’il réussit à développer lui permit de régler ses dettes, son initiative sera cependant un échec, en dépit de ses efforts pour enseigner aux tribus nomades l’agriculture et de son souhait de leur transmettre son exploitation après plusieurs années de développement. Cet insuccès trouve ses origines dans plusieurs facteurs : le désintérêt des tribus nomades pour un mode de vie sédentaire d’une part, et, d’autre part, sa présence qui se fut rappelé au bon souvenir des Britanniques ne manquant aucunement d’encourager les différends existants et de réveiller ceux endormis.

Découragé et abattu, c’est en homme brisé que le « Lawrence allemand » rentre le 1er avril 1931 à Berlin. Wilhelm Waßmuß meurt d’une crise cardiaque quelques mois plus tard, le 29 novembre 1931, dans la solitude et la pauvreté.


[1]              Helmuth Listemann, né le 23 octobre 1872 à Magdeburg, fut un interprète et diplomate allemand. Après avoir étudié le droit à l’Université de Lausanne et à l’Université Friedrich Wilhelms de Berlin, ainsi qu’au Séminaire des langues orientales, il réussit un examen de persan en avril 1898 avant d’être admis dans le service du dragomanat (cf. note suivante) de la légation allemande de Téhéran. Il reçoit le titre de dragoman en 1902 avant de devenir vice-consul à Boushehr en 1905. L’année suivante, il devient consul et réintègre en 1907 la légation de Téhéran. Il obtient le titre de consul en juin 1904 après avoir réussi son examen consulaire en février. Occupant ses fonctions consulaires en Iran pendant la Première Guerre mondiale, Listemann est arrêté par les Britanniques le 6 mars 1915 au cours d’une opération illégale et interné au centre de détention pour civils d’Ahmednagar, en Inde. Il faudra attendre la publication en 2009 des mémoires de Cecil John Edmonds, un officier britannique responsable de l’attaque du consulat de Boushehr, pour connaître les descriptions précises de cet incident militaire et diplomatique au cours duquel un livre de code diplomatique allemand fut saisi pendant la perquisition, permettant ainsi le décryptage de la correspondance diplomatique allemande par la Grande-Bretagne. Libéré cinq ans plus tard, Listemann regagne Berlin en février 1920 et continuera de travailler pour le ministère des Affaires étrangères jusqu’à son suicide dans le Rhin, à proximité de Duisbourg, le 29 mai 1924, à l’âge de 51 ans.

[2]              Ce terme nous paraît suffisamment important pour le définir ici. Un drogman, ou dragoman, désignait en Orient un interprète résidant dans les ambassades et les consulats, soit au service des Européens, soit en poste dans l’administration ottomane, chargé de traductions, de missions ou de négociations. Usité entre le 13ème et le 20ème siècle, son origine vient des croisades et de la nécessité pour les Etats latins de Palestine de se doter de services compétents. Sa racine provient du sémitique trgm, apparaissant déjà dans l’akkadien sous la dénomination targumannu et dans l’araméen sous la dénomination targimana, signifiant « traducteur », ainsi que dans l’hébreu  targum où il signifie « traduction ».

            Entre 1270 et 1510, sous le règne de la dynastie des Mamelouks, le dragoman devait être accrédité par le sultan et était responsable de l’hébergement des étrangers chrétiens dont il prenait la responsabilité du comportement. Au Moyen-Age, il s’occupait principalement des pèlerins chrétiens à travers tout l’Orient. En Egypte,  à partir de la fin du 15ème siècle, il est chargé des touristes chrétiens.  C’est au 16ème siècle que le terme est usité dans l’ensemble de l’empire ottoman, où la fonction est majoritairement occupée par des Grecs.

            En France, sous l’Ancien Régime, les drogmans étaient nommés par le ministère des Affaires étrangères parmi les élèves sélectionnés dans l’Ecole des jeunes de langues. Basée à Constantinople, cette école fut créée en 1669 par Jean-Baptiste Colbert et recrutait principalement parmi la population chrétienne locale ou des enfants de diplomates ou de commerçants français établis dans l’empire ottoman pour étudier principalement le turc, l’arabe, le persan et l’arménien. Après avoir été transféré au Collège de Clermont (aujourd’hui Lycée Louis-le-Grand) en 1700, elle est finalement absorbée en 1873 par l’Ecole spéciale des langues orientales (fondé en 1795). Elle est aujourd’hui nommée l’Institut national des langues et civilisation orientale (INALCO).

[3]              L’expédition Niedermayer-Hentig fut une mission diplomatique envoyée en Afghanistan par les puissances centrales en 1915-1916 dans le but de pousser le pays à déclarer son indépendance de l’Empire et à entrer en guerre contre l’Inde. Cette mission résulte des volontés nationalistes hindoues du prince exilé Raja Mahendra Pratap (1886-1979) soutenu par l’Allemagne et la Turquie.

[4]              Cecil John Edmond (1889-1979) était un officier britannique rattaché au Forces expéditionnaires britanniques en Mésopotamie puis au North Persia Force, unité ayant servi dans le nord de l’Iran entre 1918 et 1920.

[5]              Les Hayât-Dâvoudi sont une tribu sédentaire de Lor vivant dans une région comprise entre le Golfe persique et les montagnes Mâhour-é Milâti, elles-mêmes situées au nord-ouest de la ville de Boushehr. Succédant à son père Khân-Ali Khân en 1896, Haydar Khân entreprend une politique qui fera de sa tribu une hégémonie parmi les plus importantes entre les tribus baloutches et arabes soumises au shaykh de Korramshahr (à l’époque, Mohammara). Il développe également une politique de bonne relation avec les Britanniques, notamment en apportant son aide à la capture de pirates dans le Golfe en 1908. Ils joueront un rôle important en 1946 lors des rébellions tribales et en 1963 au cours desquelles leur chef Fathollâh Khân sera exécuté. Ils seront également largement victimes des expropriations menées par la National Iranian Oil Company – notamment sur l’île de Khârg –  au point de perdre la plus grande partie de leurs coutumes et de leur culture.

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Géopolitique et DiplomatieHistoire

Aperçu géostratégique du territoire iranien

Situé en Asie du sud-ouest, le territoire iranien s’avère complexe : en effet, la géographie d’un pays ordonne sa politique et sa stratégie dans tous les domaines : défense, économie, infrastructure, développement, etc. La géostratégie est une discipline qui étudie les informations stratégiques découlant de la géographie physique, économique et démographique.

Une géographie particulière, un défi stratégique

L’Iran possède une identité géographique unique. D’abord en raison de son relief distinctif, qui le différencie des plaines voisines de la Mésopotamie et de l’Indus. Ensuite à cause de son climat intermédiaire entre le milieu tropical des rives de l’océan Indien et les traits continentaux propres à l’Asie centrale. Enfin à ses divers milieux naturels comprenant des montagnes, des piémonts irrigués et des déserts.

territoire iranien empire achéménide

Cette identité le place au carrefour de plusieurs grands espaces civilisationnels. L’Iran est entouré par les mondes indien, arabe et turc, ce qui enrichit encore davantage sa diversité culturelle et historique. Les contrastes entre les hautes terres afghanes et caucasiennes ainsi que les vastes étendues désertiques et steppiques de l’Asie centrale ajoutent à la fascinante mosaïque géographique de l’Iran, faisant de ce pays un lieu d’échanges et de rencontres entre différentes influences et traditions.

Iran carte empire sassanide

En dépit de sa proximité avec l’océan Indien, l’Iran n’a que peu exploité cette opportunité tout au long de son histoire. Les flottes achéménides ou sassanides ne saisirent aucunement le rôle majeur que leur conférait sa géographie. En effet, lors de ses périodes d’apogée successives, l’Iran est demeuré principalement un empire continental, capable d’étendre son influence vers l’ouest, le nord et l’est.

Expansion de l’islam sous la dynastie des Omeyyades (661-750).

À l’époque achéménide durant laquelle Cambyse soumettait l’Égypte et les armées de Darius et Xerxès menaçaient Athènes, la puissance du Grand Roi se projetait au-delà de l’Indus. Ce sont donc les terres et les conquêtes continentales qui ont marqué les grandes périodes glorieuses de l’histoire de l’Iran. À l’inverse, son potentiel maritime restait en grande partie inexploité.

Le territoire iranien confronté aux invasions

En comparaison des vastes empires qui les précédèrent, les Sassanides et les Safavides gouvernèrent un territoire iranien relativement restreint. Cependant, l’empire créé au IIIème siècle par Ardashir perdura pendant plus de quatre siècles. L’Iran connut également des périodes de confrontations avec plusieurs menaces, certaines s’avérant mortelles. Les Macédoniens et les Grecs d’Alexandre, les Romains, les Byzantins et les Arabes furent en leurs temps des adversaires redoutables.

Asie mongole
L’Asie occidentale après la conquête mongole (XIIIème-XIVème siècles).

L’ancienne Perse dut également faire face aux Turcs, aux Mongols, aux Turkmènes, aux Ottomans, sans oublier les Afghans. Les deux derniers siècles virent la Russie, l’Angleterre et enfin les États-Unis remettre en question l’indépendance fièrement revendiquée de l’Iran. Malgré ses nombreux défis historiques, l’Iran a su préserver une identité forte et résiliente.

L’empire de Tamerlan (1336-1405)

En tant qu’étape naturelle pour l’empire des tsars ou la puissance soviétique dans leur progression vers les eaux chaudes, l’Iran a toujours été contrôlé par l’Angleterre qui cherchait à garantir la sécurité de sa route des Indes et à exploiter le pétrole découvert à Abadan. Pendant la guerre froide, l’Iran agissait en tant que « gendarme du Golfe » pour le compte des États-Unis d’Amérique. En raison de cette position stratégique, l’Iran fut toujours l’objet des ambitions des grandes puissances régionales et mondiales.

territoire iranien au cœur du Grand Jeu
L’Iran et le « Grand Jeu » des Britanniques et des Russes (XIXème-début XXème siècles).

Cette situation particulière et la mémoire des épreuves du passé expliquent probablement la vitalité du nationalisme iranien qui se manifeste aujourd’hui par une volonté d’indépendance et de puissance. La dynamique géopolitique de la région a donc profondément influencé le développement de l’Iran en tant qu’acteur majeur dans la politique mondiale.

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Nature et GéographieReligion et SpiritualitéSociété

La population iranienne : race, ethnies, langues et religions

Avec une histoire riche remontant à plus de 7000 ans, la population iranienne se compose de différentes ethnies, chacune avec sa propre identité culturelleet linguistique. Cette diversité complexe fait de l’Iran un lieu fascinant où les traditions et les croyances se mêlent pour former une mosaïque culturelle unique.

La population iranienne : Perse ou Iranien ?

Les Iraniens ont toujours utilisé le terme « Iran » pour désigner leur pays. Ce nom trouve son origine dans le mot avestique Aryānām, signifiant « le pays des Aryens ». En effet, les Iraniens sont la race aryenne.

Le terme « Perse » fait quant à lui référence à l’hellénisation du nom du Fars, la région d’origine des Perses, fondateurs des empires achéménides et sassanides. Pendant longtemps, les Occidentaux ont utilisé la dénomination de « Perse ». Ce n’est qu’en 1935 que le nom d’« Iran » revient dans le vocabulaire occidental lorsque Reza Shah Pahlavi exigea son adoption par les chancelleries étrangères.

Iran carte ethnique population iranienne

La population iranienne se compose de différentes ethnies et parle plusieurs langues, dont l’importance varie considérablement. Cependant, toutes contribuent à une unité historique incontestable. En Iran, trois grandes familles linguistiques coexistent, révélant ainsi la diversité ethnique du pays : les langues iraniennes, les langues turques et les langues sémitiques

Les Azéris, bien que tentés par l’autonomisme lors de la crise de 1946-1947, demeure aujourd’hui très attachés à l’identité iranienne et aux institutions politiques actuelles dirigées par l’ayatollah Ali Khamenei, lui-même azéri. De plus, la population de Téhéran est en grande partie azérie, tout comme d’autres régions du pays.

Il y a également des groupes nomades tels que les Bakhtiaris dans le sud-ouest et les Qashqaïs turcophones près de Chiraz, qui ont réussi à préserver leur identité, mais qui ne représentent plus qu’environ 2% de la population iranienne. En somme, la diversité ethnique et linguistique de l’Iran ne remet pas fondamentalement en cause son unité nationale.

Quelles langues en Iran ?

Les deux tiers de la population parle les langues iraniennes. Il faut distinguer tout d’abord le persan, langue majoritaire parlée par plus de la moitié des Iraniens et comprise par la quasi-totalité de la population. Ensuite, le kurde, parlé par environ 9% de la population, et partagé par les minorités kurdes de Turquie, d’Irak et de Syrie. Les dialectes du Gilan et du Mazandaran sont utilisés par environ 8% des Iraniens. Enfin, le baloutche est la langue d’une minorité du sud-est du pays, dont le territoire historique s’étend également au sud-ouest du Pakistan et au sud de l’Afghanistan. L’azéri, avec environ un quart de la population du pays, est la langue turque la plus importante parlée en Iran.

Outre les langues iraniennes, turques et sémitiques, il y a également les langues turkmène et qashqaï qui sont pratiquées par de très petits groupes. En Iran, environ 3% de la population parle l’arabe dans le Khouzistan et dans certaines régions des rivages septentrionaux du golfe Persique, où vivent des descendants des colons arabo-musulmans qui envahirent l’Iran au VIIème siècle.

Iran carte ethnique et religieuse

La répartition géographique de ces groupes linguistiques montre que le centre du pays est majoritairement persanophone, alors que les minorités ethniques et linguistiques se trouvent plutôt dans les périphéries du territoire iranien, en continuité avec les populations des États voisins. Cette diversité ne menace toutefois pas réellement l’unité nationale, à l’exception peut-être des Kurdes et des Baloutches qui expriment des aspirations à la dissidence et à la réunion avec leurs frères turcs ou irakiens pour les uns, pakistanais ou afghans pour les autres.

Quelles religions en Iran ?

L’Iran est un pays qui abrite plusieurs religions. Cependant, la grande majorité de la population (environ 90%) est composée de musulmans chiites duodécimains. Les communautés sunnites sont principalement issues des minorités kurde, turkmène et baloutche.

Outre les deux principales branches de l’islam, l’Iran abrite également différentes religions telles que les zoroastriens qui représentent les héritiers de la religion d’État des Sassanides. Cette communauté a des liens avec les Parsis indiens qui sont aujourd’hui leurs principaux représentants. Les chrétiens, notamment des églises assyrienne, chaldéenne et arménienne, coexistent également dans le pays, ainsi que les juifs.

Les minorités religieuses disposent des droits rattachés à leurs religions, ainsi que de députés au parlement.

La population iranienne, une unité nationale autour de son identité

En dépit de la diversité ethnique et linguistique, la très grande majorité des Iraniens adhèrent à l’islam chiite, qui s’est solidement implanté depuis le XVIème siècle. Ce fort attachement religieux transcende largement les différences ethniques et linguistiques.

De plus, un fort sentiment national se manifeste grâce à la conscience partagée d’une histoire commune et la conviction de porter l’héritage d’une civilisation ancienne, enracinée depuis plus de 7000 ans au carrefour de plusieurs mondes.

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Qassem Soleimani

Entretien : Zeynab Soleimani raconte les combats de son père

La chaîne de télévision Russia Today présente le 6 janvier 2021 un entretien avec Zeynab Soleimani dans le cadre de son émission La grande interview.

Cette vidéo fut censurée deux fois par YouTube.

L’intégralité de cette conversation est retranscrite dans notre ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique (pages 231 à 235). Le lien mentionné dans le livre renvoie à la chaîne YouTube de RT France censurée le 1er mars 2022 sur ordre de l’Union européenne.

Un entretien dans lequel Zeynab Soleimani raconte le combat de son père

Le général Qassem Soleimani livra un combat acharné contre le terrorisme. Il fut un acteur clé dans la lutte contre les groupes extrémistes dans la région du Moyen-Orient.

Soleimani a consacré sa vie à la défense de l’Iran. Mais il a également joué un rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme international. Il a dirigé de nombreuses opérations militaires contre des groupes terroristes tels que l’État islamique (Daech) en Irak et en Syrie. Le général Soleimani apporta un soutien essentiel aux forces locales et permit la neutralisation des terroristes.

entretien Zeynab Soleimani racontre son père général Qassem Soleimani

Il est respecté pour sa capacité à mobiliser et à coordonner efficacement les forces militaires dans la région. De plus, sa présence et son influence furent essentielles pour contrecarrer les avancées des groupes terroristes. De même, son travail permit de rétablir la stabilité dans des zones précédemment troublées.

Cependant, le combat de Soleimani contre le terrorisme n’a pas été sans controverse. Certains pays et acteurs internationaux l’ont accusé de soutenir des groupes et des milices armées. Ces allégations ont souvent été le résultat de rivalités politiques et de désaccords géopolitiques, compliquant ainsi la perception et la compréhension de son rôle.

Peu importe la controverse qui entoure son nom. Il demeure incontestable que le général Qassem Soleimani a consacré sa vie à la lutte contre le terrorisme. Son héritage comporte son dévouement, ses talents militaires et sa contribution significative à la lutte contre l’extrémisme dans la région de l’Asie du sud-ouest.

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Qassem Soleimani

Le général Qassem Soleimani, héros de la lutte contre le terrorisme

Qui était le général Qassem Soleimani, connu sous le surnom de sardar-é delhâ (« général des cœurs ») ?

Celui qui lutta contre le terrorisme demeure cependant inconnu pour beaucoup d’Occidentaux. Figure emblématique de l’Axe de la Résistance, il joua un rôle de premier plan sur le terrain pour lutter contre la barbarie de Daesh.

Morgan Lotz lui consacre la seule étude complète et détaillée dans son ouvrage Comprendre les Gardiens de la Révolution islamique paru chez L’Harmattan en mars 2022.

La jeunesse de Qassem Soleimani

Qâsem Soleimâni, est né le 21 mars 1957 à Qanat-é Malek (province de Kerman) au sein d’une modeste famille du milieu rural. Il participe à la révolution en 1979 avant de rejoindre le Corps des Gardiens de la Révolution islamique. Le futur général devient pendant la guerre imposée à l’Iran par l’Irak le chef de corps de la 41ème division de Tharallah.

Soleimani pendant guerre Iran-Irak 1980-1988

Il devient après la fin du conflit en 1988 commandant du CGRI dans la province de Kerman. Il rejoint ensuite la province du Sistan-Baloutchistan pour lutter contre les trafiquants le long de la frontière afghane et les séparatistes baloutches de la région.

Un stratège à la tête de la force Qods

En 1997, Qassem Soleimani devient chef de corps de la force al-Qods. Celle-ci est une unité spéciale du CGRI spécialisée dans les opérations extérieures et de renseignement. Il choisit immédiatement le général Ismail Qaani comme son adjoint.

généraux Soleimani et Qaani
Qassem Soleimani et Ismail Qaani

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, Soleimani présente devant le Conseil suprême de sécurité nationale l’idée de coopérer avec les Américains dans la lutte contre les talibans afghans. Dans ce but, le diplomate américain Ryan Crocker rencontre des diplomates envoyés par Soleimani à Genève. Ils partagent de nombreuses informations qui permettront aux Américains de prendre le contrôle de la situation en Afghanistan. Cependant, cette coopération cruciale pour les États-Unis prend fin brusquement lorsque le président américain George W. Bush désigne l’Iran comme membre de l’« Axe du Mal » lors de son discours sur l’état de l’Union en janvier 2002.

Qassem Soleimani quarantenaire

Après l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, Soleimani est convaincu de la nécessité de développer un réseau de soutiens à l’Iran pour sa protection. Ce réseau prend forme sous la forme de mouvements chiites, similaires au Hezbollah libanais. Leur rôle est de représenter une présence dissuasive de l’Iran et de ses alliés dans la région de l’Asie du sud-est.

Parallèlement, Qassem Soleimani utilise également des moyens diplomatiques. Il joua notamment un rôle clé dans la mise en place d’un cessez-le-feu entre l’Armée du Mahdi et l’armée irakienne en mars 2008.

Le général Qassem Soleimani et la lutte contre Daech

Le rôle essentiel du général Qassem Soleimani dans la lutte contre le terrorisme ne peut aucunement être sous-estimé. D’abord lors de son émergence en Syrie et ensuite contre la montée en puissance de Daech.

À la fin de l’année 2012, le général Soleimani prend la décision d’engager la force Qods dans le conflit syrien. Cela suite à la demande du gouvernement syrien. L’objectif est avant tout de soutenir le gouvernement légitime en contribuant à la création des Forces de défense nationales. Ces dernières luttent contre différents groupes terroristes takfiristes, certains étant soutenus par l’Occident, notamment les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la France.

En plus de ses pasdaran, Qassem Soleimani commande également plusieurs milliers de combattants issus d’horizons divers. Notamment ceux du Hezbollah, mais également des combattants d’Irak, d’Afghanistan et même du Pakistan. Parmi elles la célèbre Brigade Fatemiyoun dirigée par Ali-Reza Tavassoli. Ces volontaires chiites apportèrent un soutien essentiel pour la victoire de la liberté contre le terrorisme.

Ali-Reza Tavassoli brigade Fatemiyoun
Ali-Reza Tavassoli

Suite à l’entrée de Daech en Irak en juin 2014, la formation d’une coalition puissante s’avère vitale. En rassemblant les forces chiites, chrétiennes et kurdes, le général Soleimani permet la mobilisation d’une force de combat opérationnelle et efficace : les Hachd al-Chaabi. Cette coalition devient indispensable pour les puissances occidentales, qui auraient été incapables de mener des opérations sans leur soutien.

Le général Qassem Soleimani fut également un grand diplomate. En octobre 2017, il se rend à Souleimaniye suite à la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien. Ses négociations connaîtront un succès certain. En effet, les combattants de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) choisissent de ne pas s’opposer à l’armée irakienne soutenue par les Hachd al-Chaabi lors de l’offensive lancée à Kirkouk le 16.

L’assassinat du général Qassem Soleimani

Le 3 janvier 2020, le général Qassem Soleimani arrive à l’aéroport de Bagdad. Il est exceptionnellement attendue par Abou Mehdi al-Mouhandis, chef des Kataeb Hezbollah et commandant en second des Hachd al-Chaabi. Aux alentours de 1 heure 20 du matin, un drone américain tire plusieurs missiles sur les deux véhicules du convoi qui sortait de l’aéroport. Outre Soleimani et al-Mouhandis, quatre officiers du CGRI et quatre membres des Hachd al-Chaabi sont tués.

Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis
Qassem Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis

Cet assassinat personnellement ordonné par le président américain Donald Trump provoque une onde de choc à travers le monde. Elle alimente notamment les craintes légitimes d’un possible conflit direct entre les États-Unis et l’Iran. La rapporteuse spéciale de l’ONU chargée des exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, déclare que les meurtres de du général Soleimani et d’al-Mouhandis violent le droit international des droits de l’homme. Elle souligne également l’obligation des États-Unis de prouver que l’individu ciblé présentait une menace imminente pour les autres.

De nombreux juristes experts en droit international, ainsi que Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et Hillary Mann Leverett, ancienne directrice des affaires iraniennes au sein du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, qualifient également ces dix meurtres d’illégaux et contraires au droit international.

D’innombrables hommages à travers le monde

Dès l’annonce de sa mort, les hommages affluent en nombre à travers le monde entier. Des rassemblements s’organisent spontanément pour rendre hommage au général martyr à Bagdad, Sanaa, Beyrouth et, bien entendu, en Iran. Seuls les groupes terroristes syriens se réjouirent et Daech ne manquera pas d’exprimer ses remerciements à Washington.

Le jour suivant, un cortège aux couleurs des Hachd al-Chaabi rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes et défile dans les rues de Bagdad à partir du mausolée al-Kadhimiya pour accompagner les dépouilles. Le convoi se dirige ensuite vers Najaf et Kerbala, théâtre du martyre du IIIème Imâm Hossein.

général martyr Qassem Soleimani Imam Hossein

L’Iran décrète trois jours de deuil national et accueille les dépouilles de ses martyrs, ainsi que celle d’al-Mouhandis. Le 5 janvier, le Guide de la Révolution Ali Khamenei prononce, avec un visage marqué par les larmes, la prière traditionnelle pour les défunts devant les cercueils rassemblés à l’Université de Téhéran.

Le cercueil contenant la dépouille du général martyr est ensuite transporté dans la ville sainte de Qom avant d’être enterré le 7 janvier au cimetière Golzar Shohada de Kerman. Ses dernières volontés furent d’être inhumé de la même manière que les autres martyrs de la guerre imposée par l’Irak. Il repose aux côtés de son compagnon d’armes Mohammad-Hossein Yousefollâhi. Sa tombe porte simplement l’inscription sarbâz Qâsem Soleimâni, ce qui signifie « soldat Qassem Soleimani ».

Les funérailles de Qassem Soleimani s’avèrent les plus importantes de l’Histoire, avec la participation d’environ 25 millions de personnes à travers le monde. Elles dépassent celles de l’ayatollah Khomeyni qui avaient réuni plus de 10 millions de personnes en juin 1989.

À découvrir : la lettre poignante du général Soleimani à sa fille

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Les Douze Imams dans le Chiisme

par Morgan Lotz

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Gens de la Demeure (Ahl al-Bayt), Quatorze Immaculés ou bien encore Sainte Famille, qui sont les Douze Imams du Chiisme ?

Lorsque l’on parle des Gens de la Demeure (Ahl al-Bayt), une interrogation se pose toujours : pourquoi le Coran ne suffit-il pas au croyant puisque qu’il est la parole de Dieu (Allâh) Lui-même ?

Pour le Shî’isme, la révélation du sens spirituel est encore à attendre, et c’est là la tâche herméneutique dont sont investis les Imâms. Cette révélation ne sera complète qu’une fois accomplie la parousie de l’Imâm caché, c’est-à-dire du XIIème Imâm qui reviendra de son occultation pour guider les croyants afin qu’ils ne s’égarent pas lors de la fin des temps.

La métaphysique shî’ite étant dominée par l’idée de Dieu inconnaissable, inaccessible et innommable dans son Essence, se dégage alors l’idée de son épiphanie dans un plérôme de quatorze entités de lumièremanifestées sur Terre : il s’agit des « Quatorze Immaculés », comprenant le Prophète Mohammad (590-633), sa fille Fâtemeh et les Douze Imâms, « Témoinsd’un autre monde et d’un monde autre. »[1]

Fatemeh Zahra, mère de la Sainte Famille

Fâtemeh al-Zahrâ (née vers 614 – 632), dont le nom al-Zharâsignifie l’« Éclatante », est la fille du Prophète et de son épouse Khadidja beit-Khuwaylid (née entre 555 et 560 – 619). Elle épouse ‘Ali en 624 et aura avec lui deux fils, Hassan et Hossein.

Première illustration de la présence des femmes dans l’Islam, elle n’hésite pas à prononcer un sermon dans la mosquée du Prophète pour dénoncer le premier calife Abou Bakr (573-634) qui venait de faire main basse sur Fadak. Elle décéda de ses blessures quelques jours après que les partisans d’Abou Bakr aient attaqué sa maison pour la forcer à lui prêter allégeance.[2] Conformément à ses dernières volontés, ‘Ali l’inhumera en secret pendant la nuit, sa tombe demeurant encore à ce jour inconnue.

La promesses à la mère, chantée par Hassan Ataei

Ali, le Ier Imam

‘Ali ibn Abi Tâlib (entre 600 et 605 – 661), Amir al-Mu’minin (« Émir des croyants »), cousin du Prophète devenu son gendre en épousant sa fille Fâtemeh, fut le premier homme à avoir cru Mohammad et s’être converti à l’Islam. Il est également le détenteur de la seule version intégrale du Coran qu’il rédigea au fur et à mesure que Mohammad révélait ce qui lui avait été enseigné.

C’est justement lors de l’assassinat du troisième calife Othman en 656 que la désignation d’Ali comme son successeur va provoquer une division au sein de la communauté des croyants : le gouverneurs de Syrie Mou’awiya (605-680) refuse de le reconnaître comme calife, et ce dernier, suivi par la majorité des musulmans, hérite du pouvoir politique à la faveur d’un arbitrage truqué – dit arbitrage « d’Adroh »[3] – et de plusieurs affrontements armés qui s’ensuivirent.

Estimant que « le jugement appartient à Dieu seul », les khâridjites[4] mènent alors une véritable guerre contre le califat nouvellement installé en se tournent vers la commission d’attentats terroristes, dont l’un coûta la vie à ‘Ali en janvier 661, mettant de la sorte un terme à son califat et ouvrant la voie à l’exercice du pouvoir califal de Mou’awiya et de la dynastie des Ommeyades.[5]

Hassan, IIème Imâm

Hassan al-Modjtabâ (l’« Élu » ou le « Choisi ») (624-669), fils aîné d’Ali et Fâtemeh, succède à son père comme calife mais finit par y renoncer au bout de six mois et trois jours après un accord avec Mou’awiya à qui il prête allégeance dans l’espoir de préserver la communauté des croyants. Retournant à Médine avec les siens, il y demeure dix ans jusqu’à son martyre, assassiné par le poison que son épouse Dja’da bint Ash’at avait dissimulé dans sa nourriture vraisemblablement sur ordre de Mou’awiya.

Hossein, le IIIème Imam et Prince des Martyrs

Hossein (626-680), deuxième fils d’Ali et de Fâtemeh honoré du titre de Seyed al-Shohadâ(« Prince des Martyrs »), est certainement l’Imâm le plus célèbre en raison de sa mort en martyr à Karbalâ’. Le matin du 10 moharam61 (correspondant au 10 octobre 680) s’engage la bataille de Karbalâ’ dans laquelle s’opposent le petit-fils du Prophète au calife Yazîd de la branche ommeyade qui lui ordonnait le serment d’allégeance (al-bay’ah), toujours refusé par celui-ci.

En début d’après-midi, plus de la moitié des partisans de Hossein sont déjà tués puis, lorsque tous sont tombés sous les coups, ‘Ali Akbar, l’un des fils de l’Imâm martyr rencontre à son tour le trépas. Vient un moment où, se retrouvant seul devant un tel spectacle, Hossein décide de sauver son dernier-né ; le prenant dans ses bras, il supplie pour le désaltérer d’un peu d’eau dont lui et les siens étaient privés depuis une semaine en raison de l’accès bloqué au fleuve, lorsque le nourrisson fut transpercé d’une flèche. Soudainement seul, Hossein reste sans défense.

Ses assassins s’approchent alors doucement de lui, hésitant à lui porter le moindre coup, quand l’un des assaillants le frappe subitement de son épée. Un second vient alors le poignarder dans le dos. Hossein s’effondre sur le ventre, le visage contre le sol – mort. L’un décide de lui trancher la tête et commande à vingt cavaliers de piétiner le corps qui sera abandonné sur place avec les autres dépouilles de ses compagnons, qui seront ensevelies le lendemain par les habitants d’un village voisin.

Tasbeeh al-Zahra, chantée par Hadj Mahdi Rasouli

Le lendemain de la bataille, ses assassins qui avaient emporté avec eux en guise de trophées les têtes de Hossein et de ses compagnons les firent présenter au calife Yazîd résidant à Damas. Dans ce triste voyage se trouvèrent captifs les épouses et les enfants de la famille de Hossein, dont sa sœur Zeynab et son dernier fils survivant, ‘Ali Zayn al-‘Abidin, le IVème Imâm.

al-Sadjâd, le IVèmeImam

‘Ali Zayn al-‘Abidin al-Sadjâd (l’« Ornement des hommes de piété ») (656 ou 659 – 711 ou 714), dont l’imâmat dura 34 années qu’il passa à Médine après son retour de Karbalâ’. Il est l’auteur de deux livres, un traité de droit et le Sahifa as-Sadjâdiya, recueil de prières destinées à guider le croyant vers Dieu. Semblablement à ce martyre devenu une tradition pour le Shî’isme, le calife ommeyade Walid ibn ‘Abd al-Malik ordonnera son assassinat par empoisonnement.

al-Bâqir, le Vème Imam

Mohammad al-Bâqir (676-733), dont le titre al-Bâqirse rapporte à l’expression bâqir al-‘ilmsignifiant « celui qui fend la connaissance », témoignant par là du souvenir d’une âme emplie de connaissance et de piété.

al-Sâdeq, le VIème Imam

Dja’far al-Sâdeq (le « Véridique ») (699 ou 702 – 765), dont l’imâmat dura lui aussi 34 années jusqu’à son assassinat par empoissonnement, fut réputé pour sa connaissance de la théologie et des hadiths.

al-Kazim, le VIIème Imam

Mousâ al-Kazim (745-799), qui dut affronter les persécutions du califat abbaside au point d’user de la taqîyya, la dissimulation pieuse, ce qui ne l’empêcha pas d’être arrêté lors de sa prière dans la mosquée du Prophète. Il sera occis par empoisonnement durant sa détention.

Reza, le VIIIème Imam

‘Ali al-Rezâ (770-818), le célèbre « Emâm Rezâ » dont l’incontournable mausolée se situe à Mashhad, en Iran, où il trouva la mort lorsque le calife al-Ma’moun le fit empoisonner tandis qu’il se rendait dans le Khorâsân pour répondre à son invitation.

al-Djavâd, le IXème Imam

Mohammad al-Djavâd (le « Magnanime » ou le « Pieux ») (811-835), qui mourut à l’âge de 24 ans, semble-t-il sous le coup d’un empoisonnement par son épouse répondant aux ordres du calife abbaside al-Mou’tasim.

al-Hâdi, le Xème Imam

‘Ali al-Hâdi al-Naqi (le « Guide » ou le « Pur ») (827 ou 830 – 868) ne connaîtra quant à lui que la résidence surveillée ordonnée par les califes abbasides à Sâmarâ’, où il finit son existence terrestre non sans avoir laissé le merveilleux Ziyârah al-djâmi’at al-kabiraregroupant l’ensemble des prières shî’ites.

al-Askari, le XIème Imam

Hassan al-Zaki al-‘Askari (l’« Intègre ») (845-874), lui aussi interné à Sâmarâ’ tout comme son père. De son mariage avec la princesse byzantine et chrétienne Narcisse (en persan Nardjès) naquit en 869 un fils qui achève ce plérôme des Douze Imâms :

Le XIIème Imam, le Mahdi

Muhammad al-Qâ’im (le Résurrecteur), le XIIème Imâm, le Guidé (Mahdi), l’Attendu (Montazar), la Preuve ou le Garant de Dieu (Hodjat), le pôle mystique de ce monde, celui qui, selon les paroles du Prophète, « remplira la Terre de paix et de justice comme elle est aujourd’hui remplie de violence et de tyrannie. Il combattra pour reconduire au sens spirituel (ta’wîl), comme j’ai moi-même combattu pour la révélation du sens littéral. » Son importance est telle qu’il est dans la conscience shî’ite une « simultanéité de pessimisme radical et d’indomptable espoir » selon Henry Corbin ; « […] c’est le dernier Prophète lui-même qui a annoncé celui que l’on devait attendre : l’Imâm, Sceau de la walâyatmohammadienne, est l’Imâm attendu (montazar). »[6]

Le Shî’isme : une voie d’amour

Le Shî’isme se définit comme une religion d’amour spirituel initiant à la connaissance de soi dans laquelle le Prophète est le sceau de la prophétie et l’Imâm le sceau de la walâyat. Walâyatsignifie « amitié » en arabe et se rapporte à la dilection et l’amour que professent les adeptes à l’égard des Imâms. Ce cycle de la walâyatconstitue une initiation progressive au sens intérieur, spirituel, ésotérique (appelé bâtin) des Révélations divines. Puisqu’il existe de la sorte un lien personnel entre le croyant et les saints Imâms, il n’est donc guère nécessaire de se grouper en confréries (tarîqat) et de suivre l’enseignement de shaykhspour être guidé.

On pourrait penser que l’Imâmat est une simple succession de pouvoir et d’autorité – il n’en est rien. Il est important de comprendre que l’Imâmat ne se transmet pas parce que l’Imâm successeur est le fils, mais qu’il est justement le fils parce que l’Imâmat se transmet à lui. L’Imâm est en fait un pôle mystique duquel se transmet la lumière divine qui illumine l’âme depuis le monde de l’Amour, monde que le Sheykh al-Ishrâq(« Maître de l’Illumination ») Shihâb al-Din Yahya Sohravardî (1155-1191) décrit comme Nâ-kodjâ Abâd(littéralement le « pays du non-où »), le monde au-delà du « lieu » de ce monde. Ainsi Henry Corbin qualifierait l’Imâm comme le « (…) mystère du chaque-fois-unique de tous les Uniques, de l’Un multiplié à l’infini par lui-même et qui est toujours l’Un unique. »[7]

Les paroles prononcées par les Imâms shî’ites complètent donc celles de Dieu et de son prophète en devenant ce que Mohammad Ali Amir-Moezzi qualifie de « Qorân parlant ». Les Imâms, herméneutes de la Parole divine, révèlent le sens caché du Livre saint :

« Sans l’explication de l’imam, l’Écriture sainte ne demeure que lettre close puisqu’inintelligible et par conséquent inapplicable. »[8]

Cette situation n’annule point le respect des Shî’ites pour le Prophète, contrairement à ce que prétendent les diffamations sunnites. Christian Jambet rappelle que « L’imamat consiste donc dans le fait, pour l’imâm, d’être la « preuve de Dieu » (hojjat). De même qu’en son temps le prophète témoignait pour Dieu, l’imâm rend possible la connaissance gnostique, intérieure de la divinité, par la délivrance du sens caché de la parole divine. »[9]

La dévotion au Prophète, à sa fille Fâtemeh et aux Douze Imâms – les Quatorze Immaculés – qu’éprouve le cœur shî’ite est une éthique, une chevalerie, et, pour reprendre le mot de Nietzsche à propos du Bouddhisme, une « hygiène ». Le Shî’isme, c’est la religion positive (shari’at) qui s’efface devant la vérité gnostique (haqiqat), l’exotérique (zâhir) qui se trouve dépassé pour recevoir l’illumination de l’ésotérique (bâtin).


[1] Henry Corbin, En Islam iranien. Aspects spirituels et philosophiques, Gallimard, col. Tel, 1991, tome I, p. 67.  

[2] Alors que ‘Umar se voit refuser l’entrée du domicile de ‘Ali et Fâtemeh pour leur extorquer l’allégeance au premier calife Abou Bakr qui vient de prendre le pouvoir quelques jours après la mort du Prophète, il décide d’incendier la porte de leur demeure pour y entrer de force. La suite nous est narrée par Sulaym ibn Qays al-Hilâli, l’un des premiers chroniqueurs de l’Islâm, d’ailleurs contemporain des événements qu’il décrit. « Fâtima se dressa devant lui et se plaignit en s’écriant : ‘ô mon père, ô Envoyé de Dieu !’. ‘Umar brandit son sabre gardé dans étui et la frappa violemment sur les côtes. Fâtima cria encore une fois en invoquant son père. ‘Umar la frappa au bras avec son fouet. […] À ce moment, ‘Ali surgit, attrapa ‘Umar par le collet, le plaqua au sol et commença à le frapper violement au visage et au cou, cherchant réellement à le tuer. […] ‘Umar demanda de l’aide. Ses gens entrèrent. ‘Ali se précipita vers son sabre… Qunfudh et ses hommes l’attaquèrent le jetèrent à terre, l’immobilisèrent, le ligotèrent et lui passèrent une corde au cou. Fâtima barra la porte [pour les empêcher d’emmener son époux]. Le maudit Qunfudh lui asséna un violent coup de fouet de sorte qu’elle en porta la trace jusqu’à sa mort [survenue peu de temps après]. […] En effet, ‘Umar lui avait ordonné de frapper Fâtima si elle s’interposait pour défendre ‘Ali. C’est pourquoi [après l’avoir frappée] Qunfudh coinça violemment Fâtima au travers de la porte de sa maison de sorte qu’elle eut la côté brisée et perdit l’enfant qu’elle portait dans le ventre. À partir de ce jour, elle n’a pu quitter son lit et mourut en martyre… » Mohammad Ali Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant, Éditions du CNRS, collection Biblis, 2020, pp. 46-47.  

[3] Dominique Sourdel, L’Islam, PUF, col. Que sais-je ?, 1979, pp. 75-76.

[4] Appartenant à l’un des mouvements les plus sectaires, parfois considéré comme une troisième branche de l’Islâm, ils soutiennent d’abord ‘Ali en raison de leur récusation de l’arbitrage fallacieux d’Adroh mais finissent par s’opposer à lui et sont vaincus par les troupes alides lors d’une bataille rangée le 17 juillet 658.  

[5] Gaston Wiet, Grandeur de l’Islam, éd. Kontre Kulture, 2014, p. 68.  

[6] Henry Corbin, En Islam iranien, tome IV, p. 305.  

[7] Henry Corbin, En Islam iranien, tome I, p. 290.  

[8] Mohammad Ali Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant, p. 124.  

[9] Christian Jambet, La grande résurrection d’Alamût. Les formes de la liberté dans le shî’isme ismaélien, Verdier, 1990, p. 299.